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22 août 2017

200 000 nouveaux emplois dans les services à la personne ? Après le buzz, l’analyse

Une tribune parue dans le dernier Journal du Dimanche, dont le premier signataire est Pierre Gattaz, le président du Medef, a remis les services à la personne sur la scène médiatique ces derniers jours. Un « good buzz » à première vue, puisqu’elle annonce d’importantes perspectives de création d’emplois. Mais à y regarder de plus près, cette tribune n’est pas sans poser question. Décryptage.

La réduction d’impôt créée par Martine Aubry en 1991, qui permet de diviser par deux le prix réel du service à domicile, fut une des mesures ayant historiquement boosté le secteur, mais elle avait trois limites :

  1. Son plafond trop bas : il a rapidement été augmenté.
  2. Sa non accessibilité aux personnes non imposables : le crédit d’impôt a été ouvert aux actifs en 2008 et étendu à tous le 1er janvier 2017.
  3. L’avance de trésorerie de plus d’un an à faire avant d’être remboursé.

C’est ce troisième et dernier frein que les signataires de la tribune appellent à lever à travers un mécanisme simple : celui du tiers payant pour la consommation de services à la personne. Le consommateur ne paierait ainsi que la moitié du prix du service et une banque, avec l’aide d’un émetteur de chèque emploi service universel, cofinancerait immédiatement l’autre moitié du service. Le CESU servirait ici de support permettant d’agréger les 50% provenant de l’utilisateur et les 50% provenant de la banque afin de verser les 100% à l’entreprise, l’association ou à la personne prestataire de service. La banque, elle, récupèrerait son argent auprès de l’Etat quand celui-ci rembourserait 12 à 18 mois plus tard via réduction ou crédit d’impôt le contribuable consommateur de services à la personne à hauteur de 50% des sommes dépensées, conformément au code général des impôts.
En fait, une proposition proche a été formulée il y a quelque mois dans un rapport du cabinet Oliver Wyman[1] soutenu par la FESP, dont le président Maxime Aiach est signataire de la tribune, et par l’ADMR, qu’on ne retrouve pas en revanche dans Le Journal du Dimanche. Une proposition proche mais pas identique car dans le rapport Wyman, c’était la BPI ou un autre établissement financier public et non une banque, qui gérait par anticipation la créance de la personne sur l’Etat. Et quand on met les banques dans le circuit, apparaissent à la fois un problème juridique et une question.
Pas un simple « petit coup de pouce juridique »
Un problème juridique d’abord : pas plus que, depuis la fin des fermiers généraux instaurés sous Louis XIV et abolis par la révolution française, un organisme privé ne peut prélever l’impôt à la place de l’Etat, un organisme privé ne peut pas non plus être officiellement habilité à avancer à un particulier un crédit ou un trop perçu d’impôt que l’Etat lui doit. C’est à changer cela que pensent les auteurs de la tribune quand ils parlent d’un « petit coup de pouce juridique » qui, en réalité, n’est pas une mince affaire sur le plan du droit et des principes.
Une question ensuite : quand bien même cela deviendrait juridiquement possible, les banques vont-elles faire l’avance de cette créance fiscale gratuitement ? Ce ne serait pas faire injure à la Fédération bancaire française, dont la directrice générale est signataire de la tribune, ni à ses adhérents, que de faire remarquer que la gratuité des services bancaires n’est pas une pratique des plus répandues. Il est donc vraisemblable que quelqu’un, l’Etat ou le particulier, paie quelque chose, une commission ou un intérêt, à la banque pour le service rendu. Mais la tribune étant floue sur ce point (et quand c’est flou…), nous attendrons l’explication précise de la mesure par ses promoteurs pour la commenter en détail.
Gardons le « sens de la mesure »
Enfin, le texte annonce la création d’environ 200 000 emplois dans les douze mois, reprenant là-encore les conclusions du rapport Wyman qui évoquait 186 000 (hypothèse basse) à 279 000 (hypothèse haute) emplois créés en un an. Quand on rapporte cela aux 300 000 emplois en équivalent temps plein créés en 10 ans dans le secteur par les effets conjugués de l’APA et du plan Borloo avec un investissement public sans commune mesure avec ce qui est présenté ici, on peut sérieusement douter du chiffrage. Une contre-expertise ne ferait probablement pas de mal, pour garder, disons, le « sens de la mesure ».
Au-delà de ces points de vigilance, que penser de la mesure elle-même ? Du principe du tiers-payant dans les services à la personne ? Du bien ! On le retrouve dans des écrits précurseurs il y a 15 ans, c’est heureux que l’idée soit relancée. Cela ne coûterait pas bien cher à l’Etat, ne pourrait avoir que des effets positifs, se situerait clairement dans une politique de relance du secteur, véritable enjeu de société, et comporterait même une dimension sociale. Son impact est en effet d’autant plus fort que les ménages sont modestes et que l’avance de trésorerie est lourde à supporter pour eux. Mais en gonflant à ce point les effets d’annonce et en mettant les banques dans le circuit avec le lot d’interrogations que cela soulève, là où la BPI semblait faire l’affaire, les signataires de la tribune rendent-ils vraiment service à la mesure qu’ils promeuvent ?
Patrick Haddad
[1] « Redynamiser les services à la personne, proposition de dispositif »,
Cabinet Oliver Wyman, février 2017



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