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13 juin 2018

Cannabis thérapeutique :
l’hasch de raison ?

Assistera-t-on prochainement à l’autorisation du cannabis thérapeutique en France ? La Ministre de la Santé n’écarte en tout cas pas cette possibilité, récemment relancée par un infirmier de la Creuse.

Il s’appelle Éric Correia. Il est infirmier anesthésiste et est à l’origine d’un « buzz » qui, depuis quelques semaines, déborde les frontières du discret territoire de la Creuse, où il exerce son mandat de président de l’agglomération du Grand-Guéret. Fin 2017, il proposait la possibilité de cultiver du cannabis de manière dérogatoire, dans un but thérapeutique. Cette proposition constitue pour lui le point de jonction entre sa vie professionnelle et son engagement d’élu.

Au cours de ses 20 ans d’expérience de soignant, il a recueilli de nombreux témoignages de patients déclarant fumer du cannabis pour soulager des douleurs que les traitements usuels – à base d’opiacés – ne parvenaient plus à annihiler. Sachant que « fumer du cannabis est la pire des manières de le consommer en vue d’un usage médical » explique l’infirmier. Le mieux étant l’inhalation de gouttes chauffées.

Il faut attendre octobre 2017 pour que survienne le déclic. Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée les élus locaux creusois, invités à « brainstormer » sur la relance économique d’un territoire meurtri par l’affaire de l’entreprise GM&S. Le président de la République attend des propositions, et peu importe si celles-ci sont « extralégales » selon les dires de l’infirmier-élu. D’où son idée de transformer du cannabis préalablement cultivé, via la création d’une filière de production.

L’herbe est plus verte ailleurs

En la dévoilant publiquement et « de manière fortuite » au micro d’un journaliste local en février 2018, Éric Correia ne s’attendait pas à ce que sa proposition noircisse autant de pages. D’abord traité dans la presse régionale, le sujet gagne ensuite les médias nationaux : une double page dans Libération (16 avril), une « une » dans Le Parisien (9 mai) et un reportage au JT de TF1. La Creuse fait même le buzz en Californie, dans un article relayé par Courrier International. La Californie qui fut d’ailleurs le premier État américain à autoriser l’usage thérapeutique du cannabis en 1996. Depuis, 29 autres ont suivi. En Europe, la Suisse, la Grèce et plus récemment l’Allemagne ont franchi le pas.

À la suite de cet emballement médiatique, Agnès Buzyn admettait le 24 mai sur France Inter que « la France a pris du retard quant à la recherche et au développement du cannabis médical ». « J’ai demandé aux différentes institutions qui évaluent les médicaments de me faire remonter l’état des connaissances sur le sujet, parce qu’il n’y a aucune raison d’exclure, sous prétexte que c’est du cannabis, une molécule qui peut être intéressante pour le traitement de certaines douleurs très invalidantes ».

Cannabis et Ehpad : une idée fumeuse ?

Le fait est que « la littérature mondiale est assez peu fournie […] On manque de publications scientifiques établies comme telles sur une plante éminemment complexe », estime l’infirmier. Tous les témoignages qu’on a aujourd’hui sont empiriques, c’est-à-dire que ce sont les patients qui témoignent de ses effets positifs ». Faute d’études de référence, il cite un reportage de la radiotélévision suisse où l’on peut voir des résidents d’une maison de retraite préparer des gâteaux à base de cannabis. Résultat ? Une sensation d’apaisement et une diminution des recours aux médicaments. S’il est encore hasardeux d’imaginer la préparation de « space cakes » dans nos Ehpad, Éric Correia voit dans le cannabis thérapeutique deux usages essentiels pour les établissements.

Le premier relève d’une dimension exclusivement médicale dans le but de soulager des douleurs chroniques rebelles liées à l’avancée en âge. Mais « au-delà de l’apport thérapeutique du cannabis, c’est comment on considère la personne âgée et quelle écoute on a d’elle ? Il faut les replacer au cœur du système et ce n’est pas en leur donnant des benzodiazépines pour les faire dormir qu’on y arrivera ». Pour l’infirmier, le bien-être ne se soigne pas avec des médicaments. Le cannabis, après transformation, constituerait une alternative à une sur-médicalisation souvent dénoncée, et ce sans qu’il n’y ait « ni d’effets secondaires, ni d’interactions ». Une affirmation que contestent les académies de médecine et de pharmacie. Le débat est donc officiellement (ré)ouvert…

Bastien Terrade


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