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© Patrick Dagonnot

17 avril 2020

Contre l’Ehpad bashing !

Il est le philosophe français qui s’est le plus investi sur les questions de vieillissement. Auteur de « Philosophie des âges de la vie », habitué de ces colonnes comme des Assises nationales organisées par notre journal, il nous livre ici un billet d’humeur bienvenu.

L’âge déprime, le grand âge fait peur, la dépendance terrorise. Face à cette angoisse, la société d’individus qui est la nôtre, a fait un choix : celui de ne pas laisser son poids à la famille, mais à des établissements, les EHPAD, et à des professionnels spécialisés.

Cette délégation d’angoisse a néanmoins un coût : un fort sentiment de culpabilité. Tellement fort d’ailleurs qu’incapables de l’assumer, les familles et la société tout entière préfèrent que ce soient les Ehpad et non elles-mêmes qui soient coupables. D’où ce sport national d’accusation, d’indignation, de dénonciation qui accompagne la délocalisation dans des établissements, dont on dénoncera d’autant plus facilement l’incurie qu’on leur a donné pleins pouvoirs.

La crise du Covid-19 démultiplie cette tendance. Les nombreux témoignages de dévouement, de conscience professionnelle, d’attention n’y feront rien. Nous cherchons des coupables dans cette guerre sans ennemi. Nous cherchons des salauds dans cette tragédie sanitaire. Nous cherchons les boucs émissaires de nos propres renoncements. L’amour pris à défaut, face à une tâche impossible, se mue en haine implacable. Tout cela serait sans gravité, s’il n’y avait pas dans ces établissements des personnels qui n’hésitent pas à prendre des risques, qui ne reculent pas pour aller au front, qui, pour certains, se confinent avec leurs résidents.

Pour eux, cette campagne de dénigrement, nourrie par l’air du temps et par l’avidité médiatique aux discours critiques, est d’une ingratitude sans nom. La mise en procès juridique vient s’ajouter au bruit ambiant, comme expression d’une rage qui ne parvient pas à se réfléchir. « Je souffre, donc quelqu’un doit être responsable », écrivait Nietzsche. La tragédie, la vraie, est l’exact contraire de cette vision puérile du monde. Elle consiste à accepter qu’il y a de la souffrance sans raison, des conflits sans réconciliation et de la mort dénuée de sens.

On l’avait oublié cette tragédie dans notre monde pacifié, sanitaire et prospère ; elle revient au galop. Ce n’est certainement pas une bonne nouvelle sauf sur un point : cela nous rendra tous un peu moins cons… peut-être.

Pierre-Henri TAVOILLOT
Philosophe, auteur de « Philosophie des âges de la vie »


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