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4 mars 2019

Damien Le Guay, philosophe

Pour le philosophe Damien Le Guay, la mort n’est pas prise en compte à sa juste valeur dans les Ehpad. Il plaide pour faire d’un accompagnement palliatif un élément central de la vie des établissements.

Le Journal du Médecin Coordonnateur : Les Ehpad ont pour la plupart mis en place de nombreux protocoles pour appréhender la fin de la vie des résidents. Ces cadres sont-ils suffisants ?

Damien Le Guay : En 2018, le rapport Iborra/Fiat se demandait si, à l’avenir, les Ehpad seront des « lieux de vie dans lequel on soigne » ou des « lieux de soins dans lesquels on vit ». Ils sont ni l’un ni l’autre, tout en étant les deux à la fois. Pour un avenir de réconciliation de ses deux missions, une ambition s’impose : qu’ils soient des demeures du grand âge, des lieux d’hospitalité d’une vie en train de s’achever. Ainsi, les établissements ne seraient plus « des maisons de retraite » ou des hôpitaux de longue durée. Une troisième dimension devrait pouvoir être intégrée dans ces lieux d’hospitalité : laisser la vie aller jusqu’à son terme et voir venir la mort, sans la considérer comme une intruse mal venue. D’où, pour une approche plus respectueuse des personnes, la prise en considération, d’une manière officielle, avec des compétences incluses et des formations internes, de la dimension palliative des soins, quand ceux-ci ne peuvent plus empêcher qu’advienne la mort. Mes interventions auprès des personnels des Ehpad m’amènent à conclure qu’aujourd’hui, dans bien des cas, des stratégies d’évitement sont mises en place. Elles génèrent, auprès des personnels et des résidents, des malaises, des troubles, des difficultés. Les personnels, généralement, ne savent pas bien comment inscrire une fin d’existence dans le parcours de vie des résidents. Le risque est alors grand d’envoyer un résident aux urgences et, à contre cœur, de « voler » ces derniers moments qui devraient être, avant tout, un moment d’ultime paix à demeure.

Le JMC : Comment éviter que la mort d’un résident soit anonyme et faire en sorte qu’elle devienne un évènement personnel ?

DLG : Tout est là : comment rendre la mort aussi personnelle que la vie, à l’image d’une vie étirée jusqu’à son ultime moment ? En théorie, ce qui est plus délicat dans les unités de soins palliatifs, pour n’avoir pas trop le temps de connaitre cette personne-là, pourrait, en théorie, être plus facile dans les Ehpad, qui devraient pouvoir devenir aussi les demeures des ultimes moments. En pratique, c’est l’inverse. Or, qui mieux qu’une vie partagée pendant des années, avec des amitiés entre résidents et avec les personnels, serait en mesure de préparer la mort ? Le poète Rilke voulait mourir de sa mort et non de celle de la médecine. Cette ambition, difficile à réaliser partout ailleurs, pourraient devenir, tout naturellement, celle des Ehpad. Encore faut-il que la mort soit partie prenante de la vie d’un résident et qu’un engagement ferme soit conclu de tout faire pour maintenir sur place celui qui « sent venir la mort », selon l’expression de La Fontaine.

Le JMC : Quel rôle du médecin coordonnateur pour impulser une véritable démarche palliative ?

DLG : Son rôle est central. Publié en 2018, le rapport du sénateur Bernard Bonne, insiste sur ses missions essentielles dans l’organisation, l’évaluation et la prescription des soins. Mais, ce même document précise que 30 % des établissements n’ont pas de médecins coordonnateurs. S’il faut envisager l’intégration d’une démarche palliative, celle-ci doit être animée par des médecins qui savent trouver le bon équilibre entre le curatif et cette nécessaire alliance, au temps opportun, entre le curatif et le palliatif. Après tout ne s’agit-il pas, toujours et encore de vie, définie, par Xavier Bichat, comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » ?

Le JMC : Selon la dernière étude de la Fondation Bien vieillir de 2017, un bon nombre d’établissements n’annoncent pas la mort des résidents aux autres familles. Comment analyser ce phénomène ?

DLG : Ces chiffres disent bien que la mort n’est pas considérée comme faisant partie intégrante de l’attention due aux résidents. Elle reste un impensé de la prise en charge. Là aussi, pour un redéploiement éthique des Ehpad, un surcroit d’humanité, la prise en charge des « effets d’annonce » et des cérémonies d’adieu avec la famille et les résidents, semblent indispensables. Si la mort est « taboue » dans les établissements, elle l’est faute d’ambition et de formation. Et ce « silence de mort » autour de la mort devrait pouvoir être brisé. Encore faut-il s’en donner les moyens. Le devoir d’humanité va jusqu’au bout et au-delà du bout.

Damien Le Guay, philosophe de la fin de vie
Philosophe, éthicien, membre émérite du Conseil scientifique de la Société française d’accompagnement et de soins Palliatif, Damien Le Guay enseigne au sein des espaces éthiques régionaux d’Ile-de-France et de Picardie. Il est l’auteur de plusieurs essais sur la mort, dont, notamment « Le fin mot de la vie » (Le Cerf, 2014).

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Cet article est paru dans le Journal du Médecin Coordonnateur n°80


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