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© Manuel Toussaint

15 décembre 2021

Dr Fariba Kabirian : “En matière vaccinale, il faut miser sur l’anticipation.”

Le docteur Fariba Kabirian, directrice médicale France de Korian, détaille la stratégie vaccinale qu’a mis en place son groupe pour contrer la diffusion de la Covid-19. Une démarche basée sur la pédagogie, qui lui a permis d’obtenir des résultats plus que probants et qui se veut durable.

Le Journal du Médecin Coordonnateur : Les campagnes de vaccination ont été nombreuses ces derniers mois pour les Ehpad. Quelle a été votre stratégie et votre organisation pour que cette étape se déroule dans les meilleures conditions ?

Fariba Kabirian : Un des maîtres-mots de notre stratégie vaccinale a été l’anticipation. Dès l’annonce de la mise à la disposition de vaccins contre la Covid, nous nous sommes attelés à la préparation de la campagne, avec pour objectif d’avoir 100 % des résidents vaccinés et la vaccination d’un maximum de collaborateurs. Très rapidement, nous avons mis en place de nombreux outils à destination des médecins traitants et coordonnateurs, afin qu’ils aient toutes les informations pour mener cette campagne dans les meilleures conditions. Il était question de les guider sur le plan réglementaire et de leur donner des outils très pratiques, comme l’accès à leur carte professionnelle de santé (CPS). Une opération qui, à l’époque, ne leur était pas familière. Le but également était que ces derniers deviennent eux aussi des ambassadeurs de la vaccination en communiquant avec les équipes. De nombreuses réunions ont été aussi organisées pour les informer de la législation et des données scientifiques qui étaient très évolutives durant cette période. Pour mettre fin à certaines idées reçues du côté des équipes, nous avons mis en place des « chats » et une boîte mail sur laquelle les salariés pouvaient poser toutes les questions qu’ils souhaitaient de manière anonyme, de façon à libérer la parole et éviter toute stigmatisation. Enfin, nous avons beaucoup échangé avec les familles, en tentant de vulgariser les dernières données scientifiques dont nous disposions.

Le JMC : Les mesures adoptées ont-elles été différentes selon la première, la deuxième et la troisième dose ?

F.K. : Toutes les mesures liées à la vaccination ont évidemment évolué en fonction des recommandations du ministère, des ARS et de la Haute Autorité de Santé (HAS). Nous avons donc effectué un travail de veille considérable pour toujours être au fait des dernières mesures à mettre en œuvre et accompagner les équipes, en particulier pendant la première campagne vaccinale. Durant cette période, il a fallu relever un énorme défi logistique pour gérer les stocks de flacons de vaccin, mais aussi tout l’équipement périphérique, notamment les seringues. Il a fallu aussi gérer les doses et ne pas les gaspiller, en particulier au moment où il existait une incertitude sur le fait d’injecter cinq ou six doses par flacon. Dans cette optique, nous avons créé une base de données, afin de toujours savoir de combien de doses nous disposions et de les rendre accessibles aux familles ou aux personnels libéraux du territoire, en cas de besoin. Cette démarche avait lieu dans une période d’assouplissement et d’ouverture progressive des établissements dont nous devions tenir compte. Pour chacune des injections, nous avons toujours procédé en trois temps : une phase de préparation, afin de mobiliser les établissements le plus en amont possible, une phase de mise en œuvre, durant laquelle tous les professionnels étaient sur le pont et une phase post-vaccinale, où nous prenions toutes les mesures sur la pharmacovigilance et nous procédions à l’évaluation de chaque campagne.

Le JMC : Comment avez-vous géré la simultanéité de la campagne de vaccination pour la Covid et pour la grippe ?

F.K. : Je sais que certains acteurs du secteur déconseillent de délivrer les deux injections simultanées. Je préfère décider en me basant sur des données scientifiques et celles de la Haute Autorité de Santé (HAS), pas sur des idées reçues. Je ne vois aucun obstacle à cette double injection. Dès le mois d’avril, nous avons commencé à nous préparer à cette campagne contre la grippe en informant les médecins intervenant en Ehpad, qu’ils soient traitants ou coordonnateurs. Les doses ont été commandées en juillet, pour être livrées dans les établissements au mois d’octobre. Une fois de plus, nous avons souhaité anticiper cette étape majeure pour la santé des résidents. Les directions ont eu le choix entre procéder à deux doses en même temps ou au contraire, espacer les deux doses, au regard de leurs contraintes d’organisation de personnels.

Le JMC : Tous les résidents ne sont pas en capacité de donner leur consentement. Comment avez-vous géré cette contrainte ?

F.K. : Nous sommes très attachés à l’expression du consentement des résidents, même concernant la vaccination contre la grippe, qui pourtant est une procédure beaucoup plus habituelle. Nous faisons en sorte de collecter le consentement au moins un mois avant l’injection et une nouvelle demande est faite juste avant l’injection, car tout le monde a le droit de changer d’avis. Pour toutes les personnes qui ne peuvent pas exprimer facilement leur consentement, nous recherchons tout de même leur assentiment, en nous appuyant sur les familles et les représentants légaux pour faire le lien. Dans certains cas, il est vrai, nous nous sommes heurtés à des réticences de certains proches qui ne comprenaient pas la démarche ou de tuteurs qui ne souhaitaient pas s’engager pour le résident. Ces situations très marginales sont avant tout gérées par le dialogue et par une communication plus ciblée sur ces publics. Encore une fois, la pédagogie permet de lever bien des obstacles.

Le JMC : L’obligation vaccinale contre la Covid est désormais obligatoire pour les soignants. Faut-il étendre cette obligation à la grippe ?

F.K. : Personnellement, je suis favorable à l’extension de cette obligation, mais il faut être pragmatique. Grâce à une bonne communication, nous avons réussi à obtenir des chiffres très encourageants l’année dernière, puisque 92 % de nos résidents et 61 % de nos salariés ont été vaccinés contre la grippe. D’autre part, à la suite de cette pandémie, il est fort probable que la culture de la vaccination, certes imposée actuellement, se diffuse progressivement dans les Ehpad. Ce serait, il faut le reconnaître, un vrai bénéfice de cette crise…

Le JMC : Plus globalement, quelles leçons peut-on tirer de ces différentes campagnes de vaccination contre la Covid ?

F.K. : La Covid est là. Il faut donc vivre avec cette maladie et considérer qu’elle fait partie des pathologies infectieuses qui supposent des campagnes de vaccination régulières. Peut-être qu’au fil des années, nous arriverons à éradiquer ce virus grâce au vaccin, comme nous l’avons fait avec la tuberculose ou la variole, mais ce n’est pas pour demain. Dès lors, il convient de sortir d’une posture de gestion de crise et mettre en place des protocoles durables permettant ces campagnes régulières de vaccination. Ce n’est qu’en nous organisant collectivement et dans la durée, que nous arriverons à vaincre ce virus.

Le JMC : Ces protocoles durables doivent-ils concerner d’autres pathologies qui touchent les personnes âgées en Ehpad, comme le pneumocoque ou encore la coqueluche ?

FK : L’incidence des infections à pneumocoque et des zonas est augmentée dans la population âgée et tout particulièrement dans la population âgée dépendante, avec des conséquences sévères en termes de morbi-mortalité. La vaccination contribue à la prévention de ce risque infectieux. Cependant, la réponse vaccinale s’altère avec l’âge. Nous avons donc mis en place un véritable parcours vaccinal en Ehpad. A l’entrée du résident, les informations relatives au statut vaccinal sont recueillies, conformément aux données du calendrier vaccinal concernant la vaccination DTP et coqueluche, antipneumococcique, antigrippale et zona. D’autres vaccins peuvent être recommandés en fonction des pathologies présentées par le résident et prescrits par les médecins spécialistes (hépatites A, B et méningocoques). Si le résident présente un calendrier vaccinal non à jour, une vaccination de rattrapage doit être mise en œuvre, en débutant préférentiellement par les vaccins protégeant contre les maladies infectieuses invasives et/ou ceux nécessitant plusieurs doses, tout en respectant l’intervalle minimal entre chaque dose. Au cours du séjour, lors de l’évaluation gériatrique semestrielle ou annuelle, le statut vaccinal de chaque résident est vérifié afin d’anticiper les rappels vaccinaux recommandés. Ainsi, nous nous assurons que chaque résident présente un statut vaccinal à jour pour l’ensemble des pathologies concernées.


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