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23 mars 2022

Du scandale Orpéa au bal des faux-culs…

Jamais le monde des Ehpad n’avait connu un tel cataclysme. La publication des « Fossoyeurs », le livre du journaliste Victor Castanet, a provoqué une onde de choc médiatique, politique et sociale absolument majeure.

L’opinion publique s’est émue. Les médias se sont indignés. Les politiques ont condamné. Rapidement, la sentence a été rendue : Victor Castanet est un lanceur d’alerte courageux et méritant et les dirigeants d’Orpéa des salauds sans scrupules et avides de profits. La nuance et la demi-mesure ont été bannies. La raison parfois même. Seule l’émotion transformée en dégoût a eu droit de cité.

Qu’on se comprenne bien : le bouquin de Victor Castanet est éminemment salutaire ! Fruit d’un impressionnant travail, sérieux, documenté, fouillé, il met en évidence les multiples dysfonctionnements dont certains sont propres à l’établissement Orpéa de Neuilly, d’autres propres au groupe Orpéa, d’autres propres aux groupes privés commerciaux, d’autres, enfin, propres à l’ensemble des Ehpad en France.

Oui, la machine Orpéa a poussé tous les curseurs dans le rouge jusqu’à ne plus contrôler grand-chose. Le départ en catastrophe de l’ancien PDG et l’audition apocalyptique du nouveau PDG devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale auront scellé le sort d’un groupe incapable de s’expliquer et surtout incapable de comprendre l’émotion immense soulevée dans le pays. Le livre démonte une mécanique où la rationalisation, utile, recommandée même, semble avoir subrepticement glissée vers une forme de rationnement. La lecture de l’ouvrage – mais combien l’ont lu en entier ? – donne parfois la nausée.

Mais une fois dit cela, est-il aussi possible « en même temps » de dénoncer le bal des faux-culs ? Faux-culs ces journalistes qui font mine d’être scandalisés qu’on ne s’occupe pas des vieux quand eux-mêmes sont indifférents à cette cause tout au long de l’année. Faux-culs ces médias qui n’ont eu de cesse de se repaître du « scandale Orpéa » sans jamais tenter de remettre en cause une seule seconde des accusations parfois farfelues. Faux-culs ces ARS et ces Départements, muets, alors qu’ils ont la responsabilité depuis 30 ans de contrôler les 220 Ehpad d’Orpéa partout en France. Soit les Ehpad d’Orpéa sont corrects et on aurait aimé les entendre le dire. Soit ils sont aussi horribles qu’on l’a dit et les ARS et les CD doivent prendre place sur le banc des accusés. Faux-culs ces élus, de droite ou de gauche, qui feignent de s’indigner qu’on puisse gérer un Ehpad tout en faisant des bénéfices alors que depuis 30 ans plus de 1500 Ehpad commerciaux ont été autorisés par des présidents de départements de droite, centristes, socialistes et même communistes. Faux-culs ces députés LREM qui, lors des auditions ont éreinté les dirigeants d’Orpéa, mais ont refusé la constitution d’une commission d’enquête qui aurait permis à chacun de témoigner cette fois sous serment. Faux-culs encore ces députés LREM tartuffes qui après avoir capitulé piteusement devant la loi Grand Âge ont tenté de se racheter une bonne conscience en surjouant l’indignation constatant que décidément… il n’y avait pas suffisamment de soignants en Ehpad.

Je le précise avec force à l’usage des malveillants : dire tout cela ne revient en rien à dédouaner la responsabilité des dirigeants d’Orpéa ou la logique qui a conduit à des pratiques scandaleuses. La survie de ce groupe passera évidemment par le départ le plus rapide possible d’une équipe dirigeante qui a failli. Que Bertrand Desriaux, le directeur des relations sociales, l’homme qui a étouffé le dialogue social et promu un syndicat « jaune » comme dans les pires moments des pratiques patronales des années 70, soit encore en place n’est qu’une illustration supplémentaire que le groupe n’a toujours rien compris. On en est désolé pour les milliers de salariés d’Orpéa, pour tous ces directeurs et ces soignants qui oeuvrent chaque jour auprès des personnes âgées et qui paient aujourd’hui, si durement, les pots cassés. Car le malaise est là aussi. Il aura fallu que Saïda Boulahyane, auxiliaire de vie de 54 ans, explique qu’un résident à Orpéa n’a droit qu’à « 3 couches par jour » – ce qui est évidemment un mensonge éhonté – pour que la France entière tienne ce propos pour une vérité absolue et que, par contrecoup, les milliers de soignants qui travaillent chez Orpéa apparaissent comme des complices au quotidien de pratiques scandaleuses. Franchement, on pense fort à eux.

Dans ce tsunami aussi violent que parfois irrationnel, on aura toutefois pu compter sur les professionnels eux-mêmes. Je pense notamment à la FHF et à son président Frédéric Valletoux ou encore à Pascal Champvert qui, à aucun moment, n’ont utilisé la situation pour rallumer une guerre public/privé, trop conscients, qu’au-delà des possibles dérives du secteur commercial, ce qui était en cause aussi ici c’était non pas seulement le « système Orpéa » mais bien le « système des Ehpad ». Des Ehpad critiqués pour ce qu’ils sont. Des Ehpad critiqués pour le manque de moyens dont ils sont bien plus victimes que coupables.

Quant à Brigitte Bourguignon, elle aura fait preuve d’un salutaire sang-froid. On l’a vu en colère contre les dirigeants d’Orpéa qu’elle recevait et qui ont été incapables de fournir des explications crédibles. Mais on l’a vu aussi outrée de voir ensuite des médias ou des politiques prendre prétexte du cas Orpéa pour continuer ce travail de sape, cet Ehpad bashing, qui fait si mal au secteur et décourage plus encore les jeunes d’embrasser ces carrières. Elle aura été courageuse.

Car l’essentiel est là. Une fois que la tornade médiatique sera passée, que Bruce Toussaint oubliera qu’il s’est un jour indigné d’un sujet dont il se fichera de nouveau à l’avenir, que tout le monde, sous prétexte de lutter contre le grand capital, se sera essuyé les pieds sur les Ehpad, nous allons tous nous retrouver dans une relative indifférence générale à gérer les sujets qui sont les nôtres depuis 20 ans : colère et frustration des familles, manque de moyens, raréfaction croissante des personnels. Alors on nous dit : « Oui mais après l’affaire Orpéa, le prochain président quelqu’il soit devra cette fois prendre le sujet à bras-le-corps et faire voter une grande loi ». Vous y croyez-vous ? Moi, pas.

Luc Broussy
Directeur de publication du MMR


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