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© Patrick Dagonnot

30 avril 2018

Entretien avec Gilles Berrut, responsable et fondateur du Gérontopôle des Pays de la Loire

Gilles Berrut analyse la crise des Ehpad et les impacts de celle-ci sur les évolutions du secteur et de la profession du médecin coordonnateur. Il appelle à une réflexion partagée sur l’avenir du médico-social.

Le Journal du Médecin Coordonnateur : Comment analysez-vous les vastes mouvements en cours dans le secteur des Ehpad ?

Gilles Berrut : Ce mouvement est sans doute historique. Il correspond en tous les cas à une suite logique. Dans les années 1990, l’Etat a souhaité réglementer le fonctionnement des maisons de retraite pour les professionnaliser, favoriser la qualité et maîtriser les coûts. De là sont nés les médecins coordonnateurs, garants de la qualité des soins, ainsi que les procédures d’évaluation interne et externe et cela a marché. Mais aujourd’hui cette réglementation, si importante, est devenue une contrainte pour les personnels soignants. De la même manière, le profil des résidents a profondément évolué. Avec les progrès de la prise en charge à domicile et son financement avec l’APA, seules les personnes les plus dépendantes et en mauvaise santé se retrouvent aujourd’hui dans les Ehpad, avec des contraintes d’accompagnement et de soins de plus en plus lourdes. La loi ASV s’est avant tout concentrée sur le domicile et la promotion d’une gérontologie de ville, mais les établissements n’ont pas été pris en compte, de même que les médecins coordonnateurs, une profession dont l’avenir est aujourd’hui questionné. Voilà en quelques mots les principaux ressorts de cette crise des Ehpad qui résulte sans doute d’un défaut d’anticipation des pouvoirs publics.

Le JMC : Comment éviter de nouveaux points de rupture du secteur comme celui que nous vivons aujourd’hui ?

G.B. : Alors que les Ehpad existent depuis 1999, l’évolution des résidents et ses conséquences sur le secteur n’ont jamais été l’objet d’une veille pour en accompagner les conditions d’admission. Il conviendrait sans doute de mettre en place un système de veille, un peu à l’image de l’Institut de veille sanitaire, pour analyser d’année en année, les besoins des personnes accueillies en établissement et mener les réajustements nécessaires, sans quoi les fameux points de rupture risquent de se multiplier. Il faut réfléchir à l’institution qui pourrait prendre en charge ce type de mission qui devra être suffisamment opérationnelle pour le faire.

Le JMC : Parmi les différents constats autour de la crise des Ehpad, est souligné le manque chronique de médecins coordonnateurs, une population de plus en vieillissante. Comment changer la donne et rendre cette profession plus attractive ?

G.B. : L’arrêté de 2011 qui réglemente la profession de médecin coordonnateur apparaît de moins en moins adapté à la situation dans laquelle les établissements se trouvent aujourd’hui. Il convient de rapidement rediscuter du contenu des missions, en donnant par exemple la possibilité aux médecins coordonnateurs de prescrire, en relation avec le médecin traitant, mais sans interdit a priori. De la même manière, le temps de présence des médecins pose question. Comment voulez-vous assumer autant de missions en étant au mieux présent à mi-temps au sein de l’Ehpad ? Enfin, il semble nécessaire de clarifier le statut des Idec qui doit à mon sens s’aligner sur les compétences des cadres de santé. Cet effort permettra au médecin coordonnateur de pouvoir s’appuyer sur un vrai partenaire, relais auprès des personnels soignants, pour assurer la qualité et la continuité des soins. C’est en atteignant ces différents objectifs que la profession de médecin coordonnateur retrouvera de la clarté et deviendra à nouveau attractive. Il faudra aussi inclure de manière obligatoire la télémédecine, où les médecins coordonnateurs sont essentiels, dans la relation entre l’Ehpad et l’établissement de santé de référence.

Le JMC : Devant cette crise des établissements, certains militent pour renforcer la médicalisation des établissements avec le risque d’une « sanitarisation » de ces derniers. Que pensez-vous de cette option ?

G.B. : Mais ce phénomène est inéluctable. Cessons de nous voiler la face : les Ehpad accueillent majoritairement des résidents en GIR 1 et 2, en situation de « polypathologie », avec une espérance de vie de 18 à 22 mois, et donc beaucoup ont une altération sévère des fonctions cognitives et souvent des troubles du comportement. Ne pas penser qu’une médicalisation renforcée est nécessaire au motif que l’Ehpad est un lieu de vie et que le médico-social est menacé, c’est assumer une véritable perte de chance pour tous ces résidents. Tout ceci questionne évidemment notre système de financement mais je pense que les frontières entre les secteurs sanitaires et médico-sociaux doivent être moins étanches. L’élaboration des nouveaux CPOM doit nous donner l’occasion par exemple de pouvoir financer des activités d’animation, qui sont de véritables démarches thérapeutiques non médicamenteuses, dans le cadre d’un forfait soins, sans pour autant que le médico-social soit en péril.

Le JMC : Parmi les autres options envisagées, on évoque également une collaboration renforcée entre les Ehpad, le domicile et les structures intermédiaires et les résidences services. Cette option permettra-t-elle de sortir de l’impasse ?

G.B. : La frontière entre le sanitaire et le médico-social n’a plus lieu d’être aujourd’hui. De la même manière, il ne faut plus raisonner en termes d’établissements mais en termes de territoires. 46 % des personnes en GIR 2 vivent actuellement à domicile. Leurs besoins sur le plan des toilettes par exemple, ne varient pas beaucoup, comparativement avec une personne vivant en Ehpad. Dès lors, il serait judicieux qu’à l’échelle d’un territoire, qui peut évidemment varier, on puisse mettre en place une organisation dans laquelle les Ehpad, dont le nom sera susceptible de changer, accompagnent les personnes de manière graduée, selon leur degré de dépendance, à domicile, en résidence autonomie ou en établissement. Après avoir pensé en termes de parcours de santé, il convient donc de réfléchir en termes de parcours de vie à l’échelle d’un territoire.

Le JMC : Vous insistez sur la nécessité de réfléchir à la tenue d’états généraux de la fonction médico-sociale. Pour quelles raisons ?

G.B. : Comme nous l’évoquions au début de cet entretien, je crois que nous sommes aujourd’hui au bout d’un système. Dès lors, il faut prendre des mesures qui vont profondément réformer le secteur des personnes âgées et cela aura forcément un impact sur les autres secteurs, comme celui du handicap par exemple. Plutôt que de réfléchir uniquement à la question des Ehpad, profitons de cette crise pour mener une réflexion plus globale sur ce sujet de l’accompagnement, en organisant des états généraux de la fonction médico-sociale avec tous les acteurs concernés. Ce serait une belle manière de nous projeter ensemble dans l’avenir…

L’avenir des Ehpad en question

Alors que la crise des Ehpad bat son plein, l’avenir des établissements est régulièrement questionné. Une table ronde qui s’est tenue lors des dernières Assises nationales des Ehpad, le 12 mars à Paris a donné la parole à plusieurs spécialistes qui ont pu faire état des nombreuses innovations en cours sur ce sujet. Ces derniers ont notamment évoqué l’ouverture des établissements sur un territoire, l’Ehpad à domicile ou encore la place grandissante que pourrait jouer les établissements sur le plan de la prévention de la perte d’autonomie de bassins locaux de population. Autant d’innovation qui pourraient donner un nouveau sens aux missions des professionnels soignants.

De la même façon, la montée en puissance du numérique pourrait offrir aux établissements l’occasion de devenir de véritables centres de ressources au travers par exemple des diagnostics à distance ou de la surveillance de chutes par caméras ou outils connectés. Le futur des établissements a également été au centre des discussions du Printemps des Ehpad qui s’est déroulé à Nice le 22 mars. Pour les médecins coordonnateurs présents lors de cette rencontre, les évolutions des établissements devront tenir compte d’une nécessaire réflexion autour de l’avenir de la profession, de la formation des médecins, mais également des relations entre le secteur sanitaire et médico-social.

 


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