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17 avril 2020

Entretien avec Pierre Gouabault, directeur d’Ehpad dans le Loir et Cher

Pierre Gouabault est le directeur de 3 Ehpad publics dans le Loir-et-Cher qui, à ce jour, ne recensent aucun cas de Covid-19. Mais il a dû venir en renfort dans l’Ehpad voisin de Salbris qui lui compte 12 victimes du virus. Il revient, pour le MMR, sur ce drame, ses impacts, notamment pour les équipes, et sur la façon dont il a géré la suite.

Le MMR : A votre arrivée à Salbris, dans quelle situation avez-vous trouvé l’établissement ?

Pierre Gouabault : L’Ehpad de Salbris a été le premier établissement touché de la région Centre-Val de Loire. En très peu de temps, en plus des résidents contaminés, c’est le directeur puis la cadre de santé qui ont été infectés… puis une grande partie du personnel est tombé malade ou s’est mis en arrêt maladie. Au moment où l’établissement percutait le covid, il enregistrait un taux d’absentéisme proche de 55% !

A notre arrivée, ma collègue Nathalie ­Sassus et moi avons donc trouvé une situation chaotique. D’une part, le covid avait entrainé un nombre considérable de décès (11 pour 96 résidents). D’autre part, il avait éloigné l’équipe d’encadrement, laissant une équipe totalement désorganisée.  Ce qui est terrible avec ce virus, c’est qu’il n’y a pas 24 heures sans qu’on soit bouleversé et obligé de revoir notre organisation… chose impossible à faire sans chef de file.

Le MMR : A  votre arrivée, quelle a été votre priorité ?

P.G. : Notre priorité a été de mobiliser l’ensemble des partenaires, président du département, préfet, mais également ARS, qui nous ont soutenus efficacement, notamment pour obtenir du matériel. L’ARS a notamment fait un travail exemplaire. Ils savaient qu’on était en première ligne vis-à-vis des équipes et que c’était très dur. En 20 ans, je n’ai jamais vécu de moments aussi difficiles car il a fallu porter des équipes impuissantes face à la nécessaire application de procédures qui sont très loin de la philosophie qu’on a en Ehpad, d’accompagner la vie jusqu’au bout de la vie.

Et il a fallu encaisser cette manifestation de souffrance des professionnels et absorber l’effet blaste du covid. Quand on parle de 55% d’absentéisme, vous imaginez le chaos organisationnel. Personne n’était préparé pour affronter une telle crise mais dès lors que l’ensemble des pouvoirs publics se sont mobilisés, on a pu créer une vraie cellule de gestion de crise. En 2 jours, on a recruté 20 personnes, en 4 jours, on en avait 42, dont 6 de la réserve, venus de toute la France et une vingtaine d’étudiants.

Et au-delà des soignants au chevet des résidents, il nous fallait un accompagnement spécifique, médico-technique pour accompagner ces équipes et permettre la réorganisation avec ces 42 nouveaux membres de l’équipe. Pour cela, le CH de Blois nous a mis à disposition un médecin, un directeur de soins et une cadre hygiéniste.

Le MMR : Les résidents qui avaient besoin d’être hospitalisés ont pu l’être ?

P.G. : Oui, tous les résidents qui pouvaient avoir un bénéfice à être pris en charge à l’hôpital l’ont été.  Il n’y a pas eu de perte de chance. Il faut faire attention : le grand public découvre aujourd’hui ce débat mais la question de l’accès aux soins d’urgence ne date pas du covid.

Si la crise du covid permet de poser la question éthique de la prise en charge médicale de nos résidents, tant mieux mais il faut dépassionner le débat et le décontextualiser de la crise actuelle. Cela fait quelques années que l’on dit qu’il existe une sorte de filtrage pour nos résidents, notamment en deuxième recours. C’est une vérité et cela met encore plus en évidence la question du suivi médical du résident et la problématique de l’accès aux médecins traitants et aux médecins coordonnateurs.

Le MMR : Vous parlez de la crise à Salbris au passé, elle est derrière vous ?

P.G. : Je l’espère. Les professionnels commencent à guérir et à revenir et des résidents guérissent aussi. Mais la maladie est sournoise et produit des dégâts encore quelques semaines après s’être installée.  Maintenant notre travail est un travail de fond. Par exemple, un directeur des soins vient d’arriver pour structurer l’équipe soignante. Durant la crise, il a fallu gérer l’effet blaste. Maintenant, il faut prendre soin de ces héros du quotidien.

Nous, dans nos campagnes, on n’entend pas les applaudissements à 20h. Or les équipes en ont besoin. Le Covid fait maintenant partie de l’histoire de l’Ehpad de Salbris mais également de chaque membre de l’équipe, pour qui il y aura nécessairement des répercussions psychiques. On ne peut pas vivre une telle crise sans séquelles. Je l’ai vécue à mon petit niveau et j’en garderai la cicatrice. Il faut donc accompagner ces professionnels, notamment avec des cellules d’urgence de suivi médico-psychologique, pour leur permettre de décharger, évacuer, s’exprimer.

Le MMR : Pour avancer à Salbris, un dépistage massif est prévu dans l’établissement ?

P.G. : Au cœur de la crise, nous avons rencontré une vraie difficulté dans l’accès aux tests et les délais de résultats. La question aujourd’hui est de savoir s’il faut tester tous les professionnels et tous les résidents. Tout d’abord, aujourd’hui, personne n’est capable d’organiser un dépistage massif de ce type donc j’attends de voir. Par ailleurs, si on teste tout le monde, il faut anticiper les résultats : que fait-on des professionnels porteurs sains ? On va les mettre en quarantaine mais il faudra assurer leur remplacement et ça, c’est une autre paire de manches. Alors si on le fait à l’échelle de la France…

Le MMR : Et dans vos 3 établissements, comment cela se passe-t-il ?

P.G. : A ce stade, aucun cas de covid n’est à déplorer. Dans mes 3 établissements, je n’ai pas appliqué la doctrine. Depuis plus de 2 semaines, j’ai rationné les masques et les ai mis à dispositions des équipes. Cela a permis de faire diminuer l’anxiété des salariés.

Le MMR : vous faites partie du GCSMS SEPIA 41, quelle place la collaboration trouve-t-elle face à cette crise ?

P.G. : La coopération entre établissements montre toute sa force dans une crise comme celle-ci. Dans l’Ehpad de Salbris, ce sont des collègues qui viennent en renfort. La coopération n’est pas seulement utile, elle est nécessaire, elle est cruciale. Ce sera une leçon à retenir quand viendra le temps du bilan.

Et la communication et le maintien du lien social le sont tout autant. Je crois à une stratégie de communication très pro-active et transparente aussi bien auprès des familles que des professionnels. On est tous dans le même bateau donc partageons, partageons, … et restons en contact ! Dans mes 3 ehpad, nous avons créé un mur des solidarités où on affiche toutes les marques d’attention des familles, des enfants, des élus. C’est indispensable pour les résidents, pour les professionnels et pour les familles. Plus nos portes se ferment, plus il faut ouvrir nos fenêtres. Notre job aujourd’hui plus que jamais, c’est de promouvoir la vie.


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