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18 septembre 2019

Grand Age et numérique : un virage à prendre

Coordination plus fluide des prises en charge, accompagnement toujours plus personnalisé, aide aux professionnels dans leur quotidien : le numérique a beaucoup à offrir au secteur du grand âge. Dans son dernier rapport co-produit avec Capgemini, le Think Tank Matières Grises revient sur ces nombreuses opportunités et souligne le retard du secteur dans ce domaine.

Le numérique se développe de plus en plus rapidement et est porteur de progrès partout et pour tous. Le secteur du grand âge n’est pas en reste et la transformation numérique est là aussi très attendue, tant les opportunités sont nombreuses au regard des enjeux démographiques et sanitaires que nous connaissons. Mais pour se réaliser, cette transformation doit être abordée de façon globale et prospective, être pensée à l’échelle territoriale et intégrer les considérations techniques et éthiques induites par le numérique. La révolution est amorcée mais elle peine à se concrétiser.

Une opportunité à saisir

Sur le secteur du Grand Âge comme sur beaucoup d’autres, le numérique, c’est l’avenir et c’est à l’échelle territoriale qu’il trouve sa première opportunité, au service d’une meilleure coordination. Permettant aux acteurs du secteur de communiquer de façon plus réactive entre eux, de coordonner leurs actions de façon plus cohérente et de coopérer plus étroitement, le parcours de soins de la personne âgée s’en retrouve fluidifié : elle bénéficie d’un accompagnement plus global et décloisonné, son accès aux informations et ses démarches administratives sont facilitées. Et tout cela est d’autant plus vrai avec le développement en cours de la télémédecine.

Plus localement, au sein des établissements et des services, des bénéfices opérationnels sont également à la portée des acteurs, au travers des Systèmes d’Information (SI) d’une part et des nouveaux produits et services digitaux d’autre part.

Les SI sont de véritables leviers de performance. Performance sociale tout d’abord puisqu’ils permettent une amélioration des conditions de travail grâce à l’automatisation de certaines fonctions supports, le partage accru d’informations, la traçabilité des soins ou encore l’aide à la décision… au bénéfice bien sûr de l’accompagnement de la personne âgée. Les SI représentent également un levier de connaissance intéressant pour les professionnels, puisqu’ils génèrent des données indispensables au pilotage de la structure et à la connaissance ou l’anticipation des besoins des personnes accompagnées.

Les nouveaux produits et services digitaux représentent également une belle opportunité, tant pour les opérateurs que pour les personnes accompagnées. Certaines solutions, en effet, permettent aujourd’hui de repérer les fragilités plus tôt et donc de mieux les anticiper ou les prévenir. C’est le cas des outils de stimulation cognitive en cas de troubles neurologiques ou de préservation des liens sociaux pour les personnes âgées isolées.

Le maintien à domicile peut également être facilité, voire prolongé, grâce à l’utilisation de solutions domotiques qui facilitent les tâches de la vie quotidienne, qui permettent un suivi médical de la personne à distance (capteurs, appels d’urgence, etc) ou encore qui facilitent l’accès aux soins ou à des services de qualité via des plateformes. La rencontre entre numérique et Grand Âge est bel et bien prometteuse et est même devenue indispensable… mais le secteur ne semble pas encore en avoir pleinement pris conscience.

Un (ou deux) trains de retard

Utiliser le numérique pour mieux coordonner la prise en charge des personnes âgées sur les territoires ? L’idée n’est pas nouvelle. Depuis près d’une décennie, les initiatives locales et nationales se succèdent : les Territoires de Soins Numériques expérimentent l’e-santé depuis 2014, le programme national PAERPA lancé la même année vise le maintien le plus longtemps possible à domicile et l’amélioration de la coordination des prises en charges et plus récemment, l’initiative 23 du Grand Plan d’investissement de l’Etat annoncé en 2017 ambitionne d’« accélérer la transition numérique du système de santé afin d’assurer une prise en charge coordonnée ». Le programme E-parcours a quant à lui été repris dans « Ma Santé 2019-22 » pour créer les SNAC. Ces Services Numériques d’Appui à la Coordination en santé ont pour objectif de faciliter les échanges d’informations sur le territoire. Malgré ces tentatives, les territoires et leurs acteurs peinent à s’engager pleinement dans cette révolution numérique territoriale, faute de visibilité et de lisibilité sur l’ensemble des services à disposition.

Et ce retard se retrouve aussi à l’échelle des structures qui peinent à rattraper le secteur hospitalier sur l’adoption et l’usage des SI, notamment sur les fonctions cœur de métier. A titre d’exemple, aucun suivi en temps réel du taux d’occupation à ce jour n’est possible et du côté du dossier résident, 15 à 20% des Ehpad ne l’auraient toujours pas ou très mal informatisé.

Ce retard, même s’il est contrasté d’un établissement à un autre, trouve son origine dans la taille critique insuffisante d’une grande partie du secteur, frein à la constitution d’une fonction SI forte et -structurée, indispensable pourtant au dialogue avec les éditeurs de solutions qui peinent à s’adapter concrètement aux besoins des professionnels et gestionnaires. La faible couverture internet de certains territoires explique également le retard de certains.

Les nouveaux outils et services numériques qui se multiplient depuis quelques années sont eux aussi sous-exploités par les opérateurs. Piluliers connectés, robots humanoïdes d’animation, applications mobiles de lutte contre les troubles cognitifs : les acteurs testent peu à peu ces nouveaux outils mais avec beaucoup de prudence. Ce scepticisme s’explique en partie par le développement chaotique, inégal et déstructuré de cette offre.

Rattraper le retard ? Oui mais comment ?

Pour toute révolution, le nerf de la guerre c’est l’argent. La transformation numérique du secteur du Grand Âge n’échappe pas à la règle. Pour qu’elle soit réussie, il faut désormais orienter les fonds publics en faveur de la digitalisation du secteur du grand âge afin d’accélérer la transition, mettre à niveau les infrastructures (serveurs, réseaux, etc) ou investir dans des SI performants.

A ce jour, mis à part l’annonce du fonds d’amorçage de 30 millions d’euros de la CNSA et au-delà de démarches ponctuelles et locales, aucun investissement massif n’a eu lieu pour l’informatisation du secteur médico-social, contrairement au secteur sanitaire qui a pris le virage du numérique depuis longtemps maintenant. Le groupe de travail « SI » de la concertation « Grand âge et autonomie » a par ailleurs estimé l’investissement total à fournir dans ce domaine entre 1,5 et 2 milliards d’euros sur 15 ans. Ces incitations financières, si elles étaient mises en œuvre, permettraient au secteur de rattraper son retard.

Néanmoins, pour ne pas jeter l’argent par les fenêtres, il faut penser cette révolution de façon globale et systémique. L’harmonisation et l’alignement des outils et des usages professionnels est un préalable indispensable pour que ces nouvelles solutions numériques soient interopérables, qu’elles « parlent le même langage » entre elles et avec les outils existants afin que cela fonctionne et que les professionnels s’en saisissent sans difficulté.

Pour cela des référentiels socles doivent être coconstruits avec les représentants du secteur et à partir de l’existant, en matière de processus métier, de fonctionnalités des solutions et de nomenclature, a minima pour le cœur de métier que constitue le dossier de l’usager. Seuls des référentiels nationaux permettront en effet de définir le langage partagé qui permettra l’interopérabilité des solutions et la cohérence des arbitrages régionaux. Ce travail d’harmonisation est d’autant plus nécessaire sur ce secteur marqué par les acquisitions d’établissements et par une grande diversité d’organisations et de pratiques sur le territoire.

Autre condition sine qua non, mise également en exergue par le groupe de travail « SI » de la concertation « Grand Âge et Autonomie » : il faut « centrer [leur] conception sur les utilisateurs ». Cette recommandation, évidente en apparence, reste peu mise en pratique. Tous les profils métiers doivent être étroitement impliqués à toutes les étapes des projets SI pour coconcevoir leurs futures fonctionnalités, l’ergonomie et définir les données qu’ils seront amenés à produire en fonction des attentes et des besoins. La solution proposée tiendra donc compte des usages et des pratiques des professionnels pour s’inscrire durablement dans les structures.

Les nouvelles solutions numériques qui investiront bientôt en masse les établissements et services, et le domicile des personnes âgées, doivent de leur côté pouvoir s’inscrire dans une démarche de « labélisation ». Cette dernière respecterait les mêmes exigences minimales que pour les SI et permettrait de mieux structurer le marché, de le rendre plus lisible, de le sécuriser, de garantir des offres de qualité … et donc de guider les acteurs, professionnels comme particuliers, dans leur utilisation.

Le secteur du Grand Âge doit à très court terme s’engager rapidement dans une transition à long terme. Des actions à sa portée peuvent d’ores et déjà être enclenchées, notamment dans le domaine des ressources humaines. La formation par exemple pourrait être digitalisée, s’appuyer sur un socle commun à définir et à terme être mutualisée dans le cadre de plateformes territoriales. La gestion des remplacements, problématique particulièrement chronophage et répétitive pour les gestionnaires, pourrait elle aussi être optimisée via un outil digital mutualisé. Les équipes d’encadrement pourraient ainsi se recentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée pour le fonctionnement et l’attractivité de leur structure tout en garantissant une prise en charge de qualité.

Ce partage d’outils entre groupes du secteur doit inspirer des dynamiques plus larges de mutualisation entre structures. Les dispositifs d’appui à la coordination auront à terme ce rôle à jouer mais dans la phase actuelle de transition, des initiatives collaboratives permettront déjà de tirer bénéfice de la révolution à venir.

Ainsi, le chemin sera long pour rattraper ce retard… Mais rien d’impossible si tous les acteurs se mobilisent dès maintenant pour remplir les conditions que nous venons de lister, auxquelles s‘ajoute bien évidemment la question de la sécurité, enjeu central, voire prioritaire, de la révolution numérique en cours.

Manon Lacheray

Pour télécharger ce rapport, cliquez ici


En savoir +

Numérique vs Digital :
C’est avec l’apparition des ordinateurs puis d’internet qu’est né le numérique. Il se définit comme le codage, le stockage, la transmission d’informations sous forme de chiffres ou de signaux à valeur discrète. C’est l’ensemble des techniques utilisant des signaux numériques. Avec le numérique, sont arrivés les prémisses des réseaux sociaux. Les téléphones portables ont ensuite fait leur apparition, remplacés rapidement par les smartphones qui donnent naissance aux applications mobiles. Et c’est avec ces dernières qu’est apparu le digital, qui vient de l’anglais « digit » (« doigt » en français). Car c’est en effet avec notre doigt sur l’interface de l’écran qu’on manipule à présent nos données. Et à partir de là, les évolutions technologiques se sont développées autour du digital. Le digital concerne donc plutôt l’usager dans son expérience de la technologie numérique.

Système d’information (SI) :
Ensemble organisé de ressources (matériel, logiciel, personnel, données, procédures…) permettant d’acquérir, de traiter, de stocker et de distribuer des informations dans et entre les organisations.


Après ses deux premiers rapports, le Think Tank Matières Grises, en partenariat avec le cabinet de conseil leader sur les questions de transformation digitale, Capgemini Invent, vient de publier sa troisième étude : Grand Âge et Numérique, ­Objectif 2030.

Né de la réflexion croisée de ces deux organisations spécialistes, des questions numériques d’une part et du vieillissement d’autre part, et nourri d’entretiens avec les principaux opérateurs du secteur, ce rapport propose une vision de ce que pourrait être une transformation digitale réussie dans le secteur du Grand Âge et se veut un exercice pédagogique sur ce sujet dont les acteurs se sont encore peu saisis.

 

 

 


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