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26 mai 2021

Invité du mois : Antoine Perrin, dir. gen. de la Fehap

Avec la FHF et le Synerpa, la FEHAP est le 3ème grand acteur du secteur des Ehpad. Utile donc de recueillir les propos de celui qui, depuis quatre ans, a contribué à réveiller la fédération du secteur associatif. Ce médecin n’est pas l’ancien chef du département « tête et cou » de l’hôpital du Mans pour rien… La tête est là, vous en jugerez, pour apporter une vraie réflexion stratégique sur l’avenir du secteur. Quant au cou, il lui permet cette vision panoramique caractéristique de la Fehap.

Le MMR : Dans notre précédente édition, nous avons relaté le déroulé du dernier Conseil de la CNSA. Sur le rapport portant sur le financement des politiques de l’autonomie, la FEHAP s’est abstenue. Quelle était la signification de cette abstention ?   

Antoine Perrin : Je voudrais tout d’abord saluer le travail qui se fait au sein du conseil de la CNSA sous la présidence de Marie-Anne Montchamp. C’est un réel lieu de débat où la parole est très libre, très écoutée, et où les propositions qui en sortent, sont très riches et constructives pour l’avenir de la caisse et de la 5ème branche.

Mais j’ai été gêné, et je m’en suis livré à la présidente, par la manière avec laquelle le rapport présenté au dernier conseil a été réfléchi et construit.  Plutôt qu’une réflexion en comité restreint, j’aurais aimé une réflexion élargie et associant également la direction de la Caisse. Il m’est apparu dommage de s’en priver alors qu’elle aurait pu apporter son expertise, ses données et contribuer à porter de belles idées. J’aurai également souhaité que ce travail se mène avec les services de l’Etat, qui sont d’ailleurs membres du conseil. Cela aurait encore enrichi la démarche, quitte à ce que des choix soient faits ensuite, avec un constat de désaccord, sur les propositions à retenir.

Du coup, le rapport présenté était sur certains points contestables ce qui a pu porter préjudice à sa crédibilité et à sa recevabilité. C’est dommage pour un rapport destiné à être présenté au parlement et alors même que la 5ème branche démarre.

Mais cela ne doit pas pour autant, encore une fois, occulter toute la dynamique de ce conseil et ce qu’il apporte à la cause de l’autonomie des personnes.

Le MMR : La trajectoire financière fixée par ce rapport est de 20 Milliards d’euros partagés en parts égales entre le secteur personnes âgées et le secteur du handicap. Quel est votre point de vue sur cette trajectoire, son montant, sa répartition et les modalités de son financement ?

A.P. : Autant sur le secteur des personnes âgées, les 10 milliards sont bien argumentés notamment grâce au rapport Libault qui donne un certain nombre d’éléments probants et concrets. En revanche concernant le secteur Handicap je suis plus circonspect. Je ne conteste pas le fondement de ces 10 milliards mais je me demande sur quelle base et comment ils ont été calculés. Je ne sais pas s’ils correspondent à une réalité excessive, juste ou insuffisante. Le financement par la CSG est un choix sur lequel je ne me prononce pas mais que je ne conteste pas. Il faudra bien trouver des sources de financement si on souhaite augmenter le revenu de cette « 5ème branche ».

“J’aimerais que l’on étudie le scénario d’un déplacement des dépenses vers l’amont, c’est-à-dire vers la prévention et la vulnérabilité au sens large. ”

Le MMR : On parle d’une augmentation de la CSG de 0,28 points dès l’année 2023 pour récupérer 4 milliards d’euros et ceci en plus de l’augmentation mécanique d’ici 2030. Pensez vous que ce soit le bon moment pour proposer des prélèvements supplémentaires ?

A.P. : Effectivement je ne suis pas certain qu’il fallait proposer cela maintenant et de cette manière-là. Avant de partir sur une augmentation des prélèvements, j’aimerais que l’on étudie le scénario d’un déplacement des dépenses vers l’amont, c’est-à-dire vers la prévention et la vulnérabilité au sens large.

Le MMR : Le 13 juin 2018 le Président de la République annonçait devant la Mutualité Française à Montpellier sa volonté d’une loi Grand Age. Trois ans après, cette loi n’a même jamais été présentée à quiconque. Pensez-vous que les professionnels se sont fait berner par Emmanuel Macron ?

A.P. : Je ne dirais pas qu’ils se sont faits berner intentionnellement, mais, de fait, ils le sont . Les professionnels certes mais aussi les personnes âgées.

Mais il est vrai aussi que depuis, l’épidémie est passée par là. Je ne dirais donc pas que c’est un choix délibéré du président d’avoir occulté la loi. C’est plutôt un effet de la crise sanitaire. Mais au final, il y a une attente qui est extrêmement déçue.

Ce qui m’inquiète c’est que cette crise sanitaire a frappé un secteur qui était déjà mal en point et a aggravé les choses notamment en matière de recrutement. Les directeurs comme les personnels soignants sont en manque de reconnaissance : face à cela, les 183 € pour les soignants versés dans le cadre du Ségur sont insuffisants. Sur les parcours, sur les formations, les effets ne sont pas encore palpables. Or ce sont de résultats concrets dont nous avons besoin aujourd’hui. Tout cela était pourtant déjà dans le rapport Libault.

Le MMR : Justement, sans loi Grand Age, rien de possible ?

A.P. : Bien sûr que non, il y a beaucoup de choses que nous pouvons mener. Il faudrait au minimum un débat de société pour dire : que veut-on pour nos aînés et que veut-on pour les professionnels de l’accompagnement de nos aînés ? Le débat a eu lieu entre professionnels mais il n’a jamais été un débat de société.  Et c’est peut-être l’élément majeur qui manque actuellement. Notre société doit pouvoir exprimer ce qu’elle veut pour le grand âge.

Le MMR : Effectivement l’Etat et les départements se partagent la gouvernance. Il y a d’ailleurs aujourd’hui un grand débat sur l’efficience de cette gouvernance. Le système vous parait-il toujours pertinent ?

A.P. : Justement la crise nous l’a montré, ce partage de compétences n’est pas la bonne solution. A ce titre, la crise a montré que toutes les ARS étaient très investies durant cette période. En revanche le niveau d’engagement a été très disparate d’un département à l’autre, certains départements étant même totalement absents.

Il faut une clarification de la gouvernance :  qui fait quoi ?  Qui est responsable de quoi ? Il faut éviter les responsabilités partagées. Nous souhaitons vraiment qu’il y ait une seule instance régionale et cette instance s’appelle l’ARS. Dès lors il faudrait qu’il puisse y avoir une espèce de conseil d’administration dans lequel les élus régionaux et départementaux soient présents et impliqués.  Si on maintient le champ de compétence des départements en l’état, il faut que l’exercice de cette compétence s’exerce en lien très étroit avec celui de l’État, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La loi 4D pourrait peut-être amener des solutions pour clarifier la gouvernance. 

“Small isn’t beautiful : il faut opérer sur le terrain des regroupements pour obtenir une taille critique suffisante entre 70 et 100 personnes hébergées.”

Mais il faut aussi évoquer les petites structures qui ont eu beaucoup de mal à s’adapter aux difficultés liées à la crise sanitaire. Il y a réellement une question de taille critique, une question de back office, une question de moyens. Les petites structures sont fragiles et vulnérables. En clair il faut cesser de penser que « Small is beautiful » : ce discours à la FEHAP, nous l’assumons pleinement.

Le MMR : Effectivement les établissements du secteur privé commercial se concentrent souvent autour de grands groupes tandis que les établissements publics ont recours aux GCSMS pour se rassembler. Le secteur associatif quant à lui reste relativement dispersé. Quelle forme de regroupement prônez-vous à la FEHAP ?

A.P. : Le secteur privé solidaire se regroupe aussi. Car tous les responsables sont conscients de leur besoins en compétences techniques très élaborées pour apppuyer les équipes sur le terrain ; juridiques, financière, RH, qualités, informatique etc.  Il y a beaucoup de formes de regroupements, mais très honnêtement, il faut lever la pudeur et dire que la plus aboutie, c’est la fusion. La fusion permet l’existence d’une direction générale et d’un siège social au sein duquel vous pouvez réunir toutes les compétences dont je viens de parler.

Quand vous avez des petites associations avec des gouvernants âgés, qui sont là depuis des dizaines d’années, des personnes extrêmement généreuses, des personnes bénévoles puisque la gouvernance dans le milieu associatif est bénévole, ce sont des gouvernances qui s’épuisent et qui ne trouvent pas de relais dans la jeune génération. La jeune génération veut bien s’engager dans du bénévolat de gouvernance mais elle veut que les choses évoluent et que l’exercice de leur engagement se fasse dans un environnement qualifié et sécurisé. N’oublions pas que les présidents de CA sont pénalement responsables de leurs associations.

Le MMR : Si cette loi voit vraiment le jour, quels sont les 3 points essentiels que vous aimeriez y trouver ?

A.P. : J’aimerais y voir un point sur la clarification de la gouvernance entre l’Etat et les collectivités c’est certain.

J’aimerais aussi qu’on puisse planifier les moyens du secteur pour les 5 prochaines années.  Ratios de personnels, manque de qualifications, formation et montée en compétence, création de structures nouvelles : tout cela commande une programmation pluriannuelle.

Enfin je pense qu’il nous faut repenser l’aide sociale à l’hébergement qui ressemble de plus en plus à un « joyeux foutoir ». Une refonte du système me semble nécessaire.

Or, toutes ces mesures ne justifient pas forcément une loi Grand Age en tant que telle. L’une peut être dans la loi de financement de la sécurité sociale, l’autre dans la loi 4D par exemple. Quant à la refonte de l’habilitation à l’aide sociale on peut forcément trouver aussi un autre vecteur.

Le MMR : Quelle est l’influence des groupes tels que SOS, ARPAVIE, Partage et Vie sur la réflexion de la FEHAP ?

A.P. : Ils sont très présents et sont même membres du conseil d’administration.  Ils sont également très impliqués dans notre commission Grand Age. Et enfin nous avons des groupes de réflexion un peu informels dans lesquels ils n’hésitent pas à donner leur avis également.

Nous avons donc une instance très claire : La commission Grand Age émet les idées et le conseil d’administration les valide. Leurs avis sont précieux parce que justement ils ont la taille critique et sont répartis sur tout le territoire.

Le MMR : La CNSA vient de créer le laboratoire de l’EHPAD de demain. Croyez vous encore au modèle de l’EHPAD dans le futur ? Comment voyez-vous les articulations avec le domicile ?

A.P. : Moi je n’ai pas envie de parler d’EHPAD de demain même si je comprends le contexte. J’ai envie d’évoquer des mots clés : la personne, son domicile, son parcours et son territoire.  Parce qu’il faut que ces personnes puissent avoir un parcours de vie d’abord et un parcours de santé. Je préférerais que la logique des autorités de tarification consiste à trouver des interlocuteurs au sein des territoires qui se verraient confier l’accompagnement de ces personnes dans leur parcours de vie et de santé.

Cela rejoint une autre réforme que nous appelons de nos vœux :  la réforme des CPOM de façon que ce ne soit plus un contrat entre une autorité et un établissement ou un service en fonction du nombre de lits ou de places mais un contrat entre l’autorité et un acteur au sein d’un territoire sur l’accompagnement des personnes quel que soit la structure ou le service qui les accueille.

Par exemple, vous êtes un acteur et vous avez en responsabilité sur un territoire l’accompagnement de 100 personnes âgées de plus de 85 ans avec polypathologies dépendantes, la négociation du contrat avec l’autorité se fait à partir de cette population et avec l’objectif clair et unique de répondre aux besoins d’accompagnement, quels qu’ils soient et quelle que soit leur évolution, de ces personnes. Et l’évaluation se fait sur des critères liés au résultat de cet accompagnement et à son appréciation par les personnes et leurs familles : la qualité de vie, la satisfaction, l’association aux décisions, la prise en compte des besoins et de leur évolution…

Le reste, j’ai envie de vous dire, c’est de l’intendance. On ne donne pas à la structure comme conditions d’avoir 100 lits ou 5 places d’hébergement temporaire et 10 places à domicile. Non : on lui donne la responsabilité de 100 personnes et elle met elle-même les moyens qu’elle pense adaptés pour optimiser et adapter leur accompagnement, en lien bien sûr avec les personnes concernées et leurs familles. Et ces moyens peuvent varier dans le temps. 

Avec ce système, les personnes n’ont pas, lorsque leurs capacités diminuent, à « changer de statut » lorsqu’elles doivent aller en EHPAD.  C’est la structure qui se charge de changer le mode d’accompagnement.  C’est fluide, ça se fait tout seul. La structure acquière une responsabilité territoriale vis-à-vis d’une population avec des moyens à mettre en œuvre.

Voilà une réforme très importante. Je n’appellerai donc pas ça l’EHPAD de demain. J’appellerai cela plutôt, modalités « d’accompagnement à la vie et à la santé d’une population sur un territoire ».

Le MMR : Donc là, on se rapproche clairement d’un modèle de plateforme gérontologique?

A.P. : Absolument, le domicile, l’hebergement temporaire, l’EHPAD, deviennent des moyens. L’interlocuteur de la personne et de sa famille, ça n’est pas l’EHPAD, ça n’est pas le domicile mais c’est la plateforme qui les met en lien avec le service dont elles ont besoin à un moment donné.

Le MMR : Après un an de crise comment ressentez-vous l’état d’esprit de vos adhérents ?

A.P. : Soucieux et fatigués. Une certaine amertume aussi. Les professionnels sont sur le pont, sans trêve quasiment, depuis plus d’un an maintenant, et ce n’est pas fini.

L’Etat a souhaité les reconnaitre dans leur métier, leurs compétences et l’investissement remarquable qu’ils ont eu pendant la crise. Mais cette reconnaissance est inégale. Le Ségur en est l’illustration.  Nous avons dû nous battre pour obtenir cette reconnaissance, qui a été immédiate et totale pour les professionnels du secteur public mais qui reste incomplète chez nous. Et puis la crise n’est pas terminée et les problèmes de recrutement sont majeurs en particulier dans les secteurs qui n’ont pas bénéficié de la revalorisation des salaires ou qui devront attendre 2022 pour l’obtenir. Ainsi les soignants préfèrent, lorsqu’ils ont le choix, aller dans le service d’à côté où ils sont revalorisés pour le même travail. 

Propos reccueillis par Elsa Maarek


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