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15 septembre 2020

L’alimentation en ehpad

Depuis plusieurs mois, la crise du covid-19 met en lumière l’équilibre fragile entre « médicalisation » et « création d’un chez soi » au sein des Ehpad et l’alimentation est une illustration forte de ce dilemme.

Au cœur des enjeux d’aujourd’hui et des mutations de demain

Au carrefour des besoins et des envies des personnes âgées, la fonction restauration a évolué tout au long de la transformation de l’Ehpad d’hier à celui d’aujourd’hui. L’alimentation trouve ainsi autant sa place dans le projet d’animation de l’établissement que dans le projet de vie individuel du résident … et bien évidemment dans son projet de soins.

Manger pour vivre…

… et pour vieillir ! Même après 80 ans, s’alimenter est évidemment essentiel pour faire fonctionner corps et esprit. En Ehpad, le sujet est même pour beaucoup une question de vie ou de mort, 37% des résidents souffrant de dénutrition. Cette maladie qui touche 2 millions de personnes en France a un impact particulièrement dangereux sur la personne âgée : elle provoque la fonte de la masse musculaire, augmentant ainsi le risque de chutes et donc de perte d’autonomie et peut entraîner la mort quand la perte de masse protéique excède 50%.

Lorsqu’elles sont dénutries, les personnes sont par ailleurs plus sensibles et fragiles face aux infections, leurs défenses immunitaires étant affaiblies. Ce qui pose évidemment problème en Ehpad, et d’autant plus quand une épidémie comme celle du Covid frappe à leur porte. « Une personne âgée dénutrie fera une forme plus sévère de Covid-19, le virus aggravant le statut nutritionnel car il perturbe le goût, l’odorat, rend difficile l’acte de manger mais surtout diminue l’appétit », note Agathe Raynaud-Simon, professeur en gériatrie et membre du Collectif de lutte contre la dénutrition. Et au Pr Éric Fontaine, médecin nutritionniste et président du Collectif, d’insister : « les gens hospitalisés pour le Covid, quel que soit leur âge, ont perdu au moins 10kg à la sortie de l’hôpital. Quand on est en pleine forme, ça secoue, mais quand on est déjà dénutri, ça tue ».

Alors, comment combattre cette maladie ? D’abord en en cherchant les causes : isolement social, problèmes bucco-dentaires, troubles de la déglutition, maladies ORL ou encore satiété précoce de la personne âgée. Chaque problème a sa solution, allant de la réparation de l’appareil dentaire à l’adaptation de la texture des plats. Dans un récent livre blanc coproduit avec le cabinet EHPA Conseil, le restaurateur Elior santé revient d’ailleurs sur l’évolution de l’offre de restauration depuis 30 ans pour justement accompagner l’intégration de ces enjeux dans la prise en charge et la prise en soins des personnes âgées. En 30 ans, l’Ehpad et ses résidents n’ont eu de cesse d’évoluer. La restauration a suivi ces mutations.

… ou vivre pour manger ?

Au delà des fonctions nutritionnelles (essentielles) des repas en Ehpad, ces derniers représentent surtout et avant tout pour les résidents un point de repère et une source de plaisir dans ce nouveau « chez soi ». La priorité devient alors que les résidents mangent à leur faim et à leur goût. Comment ? En misant sur le plaisir et donc en travaillant la présentation du plat et la texture des aliments mais aussi en optimisant le goût et l’arôme. Action d’autant plus efficace que le vieillissement peut entrainer une diminution des capacités sensorielles, parfois amplifiée par la prise de médicaments. Le plaisir devient alors la meilleure arme contre une potentielle baisse de moral et, évidemment, contre la dénutrition. « Je suis personnellement un grand prescripteur de choux à la crème et de tartiflette », plaisante le Pr Fontaine.

Opérateurs et restaurateurs ont pris cet enjeu au sérieux depuis longtemps. En témoigne la multiplication des innovations autour du plaisir culinaire ou encore le succès du programme « Silver Fourchette ». Le projet « Maisons Gourmandes et Responsables » met quant à lui l’accent sur le lien direct entre plaisir et responsabilité. À une époque où la priorité est donnée à la lutte contre le gaspillage, il est indispensable de se questionner sur les raisons pour lesquelles les repas ne sont pas consommés et d’identifier des leviers d’amélioration. En Ehpad, on évalue en effet le gaspillage à 300g par personne et par jour, soit l’équivalent de 10 tonnes par an pour un établissement de 88 résidents, pour un coût annuel estimé à plus de 29 000 € [1].

Autre fonction, non négligeable, de l’alimentation en Ehpad : les repas rythment les journées des résidents et favorisent le maintien de leur vie sociale, des interactions entre voisins de table aux ateliers cuisines en passant par les animations culinaires et, bien entendu, le déjeuner familial dominical. Résultat : quand l’épidémie de Covid-19 a frappé, c’est tout un pan de la vie des établissements qui a disparu avec une fonction restauration qui s’est totalement réorganisée en urgence. Fermeture des restaurants et service en chambre systématique, arrêt des animations, diminution du temps d’accompagnement aux repas : autant de problématiques qui ont accentué dans une certaine mesure l’isolement des résidents, confinés en chambre et privés des visites de leurs proches… et ont ainsi alimenté la remise en question de la capacité des Ehpad à maintenir l’équilibre entre liberté et sécurité, entre plaisir et soins.

La flexibilité, priorité pour demain

Cet équilibre, mis à mal durant la crise, le sera d’autant plus demain avec l’arrivée des baby-boomers en établissement. Pour ces « nouveaux vieux », la vie en Ehpad devra évoluer… et la restauration avec. C’est notamment cette évolution que le rapport Elior Santé et EHPA Conseil a souhaité investiguer pour identifier les modèles de restauration de demain.

Choisir ce qu’il y a dans l’assiette sera une obligation sur laquelle ces nouveaux résidents ne transigeront pas, conjuguant santé, plaisir et goût avec responsabilité environnementale (du bio, des circuits courts), chaque génération y étant plus sensibilisée que la précédente. Ils apporteront leurs habitudes alimentaires avec eux en établissement. Plutôt que la cuisine « terroir » plébiscitée aujourd’hui, s’ils mangeaient chinois ou indien chez eux, ils ne voudront pas s’en priver. Le simple menu de substitution ne suffira plus non plus, les commissions menus devront être réinventées et surtout, le travail déjà entrepris pour impliquer les résidents autant qu’ils le souhaitent dans les temps autour du repas devra plus que jamais se poursuivre. Florence Braud, aide-soignante auditionnée dans le cadre du rapport Elior Santé et EHPA Conseil, le souligne bien : « il faut permettre aux résidents de continuer à mener une vie normale dans une vie qui n’est plus normale. On ne peut pas réduire l’acte de s’alimenter à celui de digérer » .

Choisir « où prendre son repas » et « avec qui » sera tout aussi important. Les salles de restauration collective, modèle déjà remis en cause et totalement bouleversé par l’épidémie de Covid-19, le sera d’autant plus avec l’arrivée de ces « nouveaux vieux », qui appellent à la création d’espaces semi-privatifs et la réorganisation des équipes pour assurer, pour ceux qui le souhaitent, un service en chambre, comme cela fut rendu possible lors du confinement. La flexibilité horaire deviendra elle aussi la norme, chaque résident imposant sa routine, différente de celle de son voisin (un respect des rythmes individuels d’autant plus important qu’il conditionne l’appétit des résidents !). Arnaud Méjane, DG France du groupe Colisée, résume ainsi dans le livre blanc d’Elior et EHPA Conseil la révolution en cours : « Demain, il faudra sortir des schémas préconçus des établissements et faire en sorte que la restauration passe de collective à individuelle ».

Ces remises en question du modèle de l’Ehpad et de sa fonction restauration s’inscrivent pleinement dans la réflexion autour de l’Ehpad du futur, notamment plus ouvert sur son territoire. L’enjeu demain sera d’explorer de nouvelles offres pour répondre aux attentes et aux modes de consommation différents : pourquoi pas un « Deliveroo local » ? ou des box « prêt à cuisiner » ? Autant d’idées qui pourront être pensées avec la ville et les acteurs du territoire et qui pourront s’appuyer sur les outils numériques auxquels les babyboomers seront plus familiers. Pour garantir l’équilibre bénéfice-risque, qui sera nécessairement fragilisé par cette « ouverture » du modèle, les Ehpad et les restaurateurs n’auront d’autre choix que de renforcer leur partenariat, résultat de 30 ans d’évolutions parallèles et complémentaires.

[1]. Résultats de la première campagne d’autodiagnostic de Maison Gourmande et Responsable.


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3 questions à
Éric Fontaine et Agathe Raynaud-Simon,
membres du Collectif de lutte contre la dénutrition.

Le Mensuel des Maisons de Retraite : En Ehpad, comment détecte-t-on et évalue-t-on le niveau de dénutrition des résidents ?

Eric Fontaine : On l’évalue en les pesant, un IMC inférieur à 21 signant la dénutrition chez le sujet âgé, mais aussi en traçant leur historique de poids. Parce que être dénutri c’est perdre du muscle et quand on perd beaucoup de poids rapidement, on perd principalement du muscle, donc quand on perd 5% du poids du corps en 1 mois ou 10% en 6 mois, on est dénutri. Pour quelqu’un qui pèse 60kg, 5% ça fait 3 kilos. Ça parait peu mais pour nous c’est le diagnostic de dénutrition.

Agathe Raynaud-Simon : On observe également la fonctionnalité musculaire et la mobilité, à travers la vitesse de marche ou la capacité à se lever d’une chaise. Les résidents d’Ehpad sont très à risque de déclin de mobilité, une telle diminution est l’impact direct de la dénutrition.

Le MMR : Quelle prise en charge apporter aux résidents dénutris et à quel moment ?

E.F. : Le plus tôt possible car quand c’est diagnostiqué tôt c’est facile à traiter. L’idéal réside donc bien entendu dans la prévention pour éviter d’en arriver à la dénutrition ou la prendre à temps.

A.R-S : Pour la combattre, il faut principalement augmenter les apports protéino-énergétiques en multipliant les collations, en recourant à l’alimentation enrichie en petits volumes, à des textures plus lisses, sans aller nécessairement vers le tout mixé, notamment industriel, qui est trop liquide, moins bon et moins riche en énergie et protéines.

E.F. : En restauration on rajoute des graisses. Les professionnels savent faire beaucoup de choses mais ils sont bombardés d’informations comme « il ne faut pas de graisse, pas de sucre », qui sont vraies pour les jeunes mais pas du tout adaptées aux personnes âgées.

Le MMR : Quels sont les enjeux de demain dans cette la lutte contre la dénutrition ?

E.F. : L’enjeu c’est de faire reconnaitre la dénutrition comme une maladie à part entière et c’est justement la mission du Collectif. Ce n’est pas encore le cas mais première étape, la dénutrition est devenue un problème de santé publique. Le PNNS4[1] a notamment instauré la Semaine Nationale de la Dénutrition qui se tiendra du 12 au 19 novembre 2020 autour d’événements de toutes formes (conférences, concours de cuisine, sensibilisation à la pesée, dégustations) organisés partout en France et avec tous types d’acteurs, pas seulement sanitaires.

A.R-S : On sait que si on prend en charge la dénutrition, on peut limiter les hospitalisations, diminuer les complications post-opératoires, la mortalité ou encore les réhospitalisations. Tout le monde doit comprendre que la dénutrition n’est pas une fatalité. Ce n’est pas parce qu’on ne guérit pas tout le monde qu’on ne doit pas soigner tout le monde. C’est le message que nous souhaitons diffuser à l’occasion de la semaine nationale de novembre, que nous espérons riche en participation !

[1]. Programme Nationale Nutrition Santé 2019-2023.


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