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9 février 2018

L’Atlas du Grand Âge : un ouvrage passionnant

C’est un document original à plusieurs titres que nous propose Mickaël Blanchet, docteur en géographie sociale, consultant et enseignant, auteur de cet « Atlas des séniors et du grand âge en France » paru en novembre dernier aux presses de l’EHESP.

L’approche se distingue de bien des ouvrages sur le vieillissement, avec justement cette notion d’atlas qui se traduit par une série de diagnostics cartographiés. Des cartographies qui font écho à la formation de géographe de l’auteur et que l’on retrouve dans l’angle d’analyse principal de l’ouvrage : l’angle territorial. L’auteur explique ainsi en introduction que « le territoire par sa dimension spatiale, politique, sociale, économique et phénoménologique constitue un cadre propice à la compréhension de la place des publics âgés dans la société et des politiques qui s’y réfèrent ».

Territoire et vieillissement, une réalité géographique complexe

L’approche territoriale permet de souligner les conditions et modes de vie des personnes âgées autant que les dynamiques démographiques, politiques et économiques à l’œuvre. Tout en constituant le fil conducteur du document, le territoire est suffisamment transversal pour pouvoir aborder une large palette de sujets concernant les séniors et le grand âge : des évolutions démographiques à la vie politique et associative, des solidarités familiales à la mobilité, des vulnérabilités au potentiel économique des personnes âgées en passant par l’hébergement, les services d’aide à domicile, la silver économie et plus largement les politiques de la vieillesse.

Une diversité de thèmes traités qui rend les 120 pages de l’ouvrage digestes et synthétiques grâce à l’articulation de cartes, de tableaux, de graphiques et de textes allant à l’essentiel sur chacun des sujets abordés. Nécessairement, le croisement d’autant de données conduit à des constats contrastés et notamment « une réalité géographique complexe » marquée par des inégalités territoriales touchant le vieillissement et ses politiques. Une réalité complexe qui, passée au peigne fin, va souvent conforter ce que les professionnels du secteur savent déjà mais aussi parfois tordre le cou à certaines idées reçues.

Utilité sociale et enjeux politiques

La série d’interrogations éclairées par cette analyse multidimensionnelle débute par un questionnement sur ce qu’il est convenu d’appeler la vieillesse elle-même, difficilement délimitable par le seul critère de l’âge, trop restrictif et catégorisant selon l’auteur. Il propose donc de le compléter par des éléments sociaux et par de la perception subjective, comme le sentiment de vieillissement. La démarche aboutit à faire de la notion d’utilité sociale de la personne âgée une variable déterminante et évolutive selon les territoires et les époques. Dans une période, le vieillissement, jalonnée de difficultés nouvelles, l’utilité sociale, l’inclusion ou l’exclusion des personnes âgées va se jouer de façon différenciée au regard de l’origine sociale et des conditions de vie, mais aussi du vécu, des pratiques et des représentations de chacun.

Sur le plan politique, les conclusions de l’Atlas sont sans surprise avec une participation électorale supérieure à la moyenne et une orientation significativement marquée à droite. Un vote en faveur de la droite classique plus marqué chez les anciens agriculteurs, cadres et indépendants, tandis que les anciens ouvriers, employés et professions intermédiaires sont davantage tentés par les extrêmes. Mais le constat majeur reste celui d’un vote majoritairement en faveur des partis établis : « le plus frappant est le vote des plus de 65 ans en faveur des candidats affichant une stabilité vis-à-vis des normes économiques et sociales en place » commente l’ouvrage. Dans ces conditions et eu égard au poids démographique croissant des personnes âgées, leur vote sera amené à prendre une dimension clé autour des enjeux de sécurité, de santé et de niveaux de vie.

Des ressources conséquentes mais des acteurs dispersés

Concernant les ressources des personnes âgées, le document reprend le constat fait par la Fondation de France : une personne âgée sur dix en 2014 en France est pauvre. Plus surprenant peut-être, ce taux de pauvreté se trouve aussi en centre-ville et ce, malgré le recul global de la pauvreté chez les seniors au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle. Leur niveau de vie dépasse même celui des actifs depuis les années 2000 « entre 2001 et 2014, le revenu disponible médian des personnes âgées a progressé de 24,5% tandis que celui des ménages de 25-34 ans n’a augmenté que de 12% » explique l’ouvrage. Mais c’est surtout au niveau patrimonial que les retraités sont sur-dotés par rapport à la moyenne nationale, avec là encore de fortes inégalités. Au total, le pouvoir d’achat des séniors n’a jamais été aussi élevé et en même temps, il connaît une décroissance marquée à partir de 70 ans. « C’est autant sur le niveau de vie jamais atteint des retraités que sur cette contraction des dépenses pour les plus âgés que la Silver économie fonde ses espoirs », analyse l’auteur.

Dans une dernière partie, l’ouvrage décrypte les jeux d’acteurs territoriaux et décrit la dissemblance territoriale des politiques de prise en charge du grand âge. Avec l’extension du domaine du vieillissement à l’habitat, aux transports, aux loisirs aux nouvelles technologies et à la prévention, on assiste à une dispersion grandissante des réponses. Cette dispersion s’explique par l’existence de règles différentes selon les activités, qui provoquent à leur tour des comportements divergents. Ainsi, tandis que la constitution des GHT en 2016 entraîne concentration et hiérarchisation, la régulation par appel à projets en vigueur depuis le milieu des années 2000 est plutôt favorable aux grands établissements dotés d’ingénierie de projets, et la médecine libérale continue, elle, de bénéficier d’une liberté d’installation qui a tendance à profiter aux agglomérations, aux zones ensoleillées et bien équipées, au détriment du milieu rural et des quartiers urbains populaires. Le tout est couronné par la grande hétérogénéité des politiques départementales, chefs de file des politiques sociales en faveur des personnes âgées, qui n’a pas échappé à la vigilance de l’auteur et qui aboutit à un système complexe et toujours en mutation, dont il est indispensable d’anticiper les évolutions futures.

Si le format pratique du document le rend accessible au grand public, son cœur de cible se constitue plutôt des professionnels publics ou privés, chercheurs ou opérationnels, qui pourront puiser dans cette précieuse source des donnés facilement exploitables pour mieux appréhender les différentes facettes du vieillissement.

 

Patrick Haddad


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