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18 mai 2021

Quand l’Ehpad cherche à se réinventer

Depuis quelques années maintenant, le concept d’Ehpad «hors les murs » ou d’Ehpad « à domicile » fait florès. Au point que de nombreux dispositifs expérimentaux ont fleuri un peu partout sur le territoire. Où en sont ces expérimentations ? Quels constats peut-on faire et quels enseignements peut-on en tirer ? Le MMR fait le point sur quelques-uns d’entre eux…

Il faudra un jour s’interroger sur les raisons qui ont permis l’émergence de ce concept dont on ne sait s’il est censé glorifier l’Ehpad ou le domicile… A l’origine, Bluelinea, dès les années 2015-2016, lance son idée d’Ehpad à domicile : il s’agit alors bien de vivre chez soi mais d’y bénéficier d’un environnement sécurisé digne d’un Ehpad. Dans la foulée, des groupes associatifs comme la Croix-Rouge et la Fondation Partage & Vie se mettent aussi dès 2015-2016 à employer ce terme pour désigner les expérimentations qu’ils lancent en interne.

Les gens veulent rester chez eux le plus longtemps possible pour éviter l’entrée en Ehpad ? Dans ce cas, l’Ehpad va venir vers eux… « L’Ehpad à domicile » porte en lui cette contradiction apparente : c’est donc pour lui échapper que les personnes âgées le solliciteraient. En bref, l’Ehpad à domicile, ce serait les avantages (lit médicalisé, système de surveillance…) sans les inconvénients (devoir quitter sa maison pour un Ehpad).

Mais pour les Ehpad, ce concept est aussi une bouffée d’air frais. Alors que l’Ehpad est l’objet de critiques de toutes parts, voilà que la société lui assignerait un rôle nouveau : exporter son savoir-faire chez les gens. Et alors que l’activité même d’un Ehpad est limitée à la prise en charge de ses propres résidents, voilà qu’on lui donnerait l’opportunité d’élargir son champ d’action.

Enfin, la popularité de ce type de formule a aussi prospéré sur la volonté de tous les acteurs de décloisonner établissement et domicile et de gommer des frontières que beaucoup trouvent artificielles.

Dès lors, plutôt que d’évoquer l’Ehpad « à domicile » alors que les gens ne veulent justement pas entendre parler d’Ehpad ou d’Ehpad « hors-les-murs », terminologie qui apparente un peu l’établissement à une prison, le terme d’Ehpad « plateforme de services » est progressivement en train de prendre le pas. Déjà Dominique Libault, dans la proposition 46 de son Rapport, préférait évoquer le concept « d’établissement territorial ».

Des expérimentations multiples…

Des expérimentations de ce type se multiplient donc depuis quelques années, notamment grâce à l’article 51 de la LFSS pour 2018 (encadré ci-contre), mais de façon dispersée et hétérogène sur le territoire : noms différents, modes de financement divers, partenaires multiples, couvertures territoriales hétéroclites, services et mode opératoire variés d’un dispositif à l’autre… Chaque expérimentation a ses propres fonctionnement et spécificités. En voici quelques-unes…

Ces expérimentations, différentes sur bien des aspects, n’en gardent pas moins quelques caractéristiques communes emblématiques de l’Ehpad plateforme ou à domicile. Tous ces dispositifs proposent en effet des services dépassant largement le cadre traditionnel de l’Ehpad.

Pour HSTV, c’est l’« adaptation du domicile avec un ergothérapeute et sa sécurisation 24h/24 grâce aux objets connectés », pour M@do, c’est l’« installation de matériels domotiques et [la dispensation de] soins médicaux au domicile », pour Diapason 92 il s’agit d’une « garde itinérante de nuit, de l’adaptation du logement et d’une plateforme de répit pour les aidants »

Ces dispositifs constituent une offre inédite et véritablement ancrée sur leur territoire, que les services soient dispensés dans l’Ehpad, à domicile, ou les deux. La zone couverte est toujours clairement définie pour identifier les bénéficiaires des services déployés ou les partenaires à mobiliser et chaque projet s’inscrit dans une dynamique territoriale forte où porteurs, partenaires et pouvoirs publics avancent de concert.

Et c’est cette multiplicité de partenaires qui nous amène à la caractéristique fondamentale de tout dispositif : la coordination. Chaque porteur de projet, sauf M@do, où il s’agit d’équipes mobiles d’aide et de soin à domicile, dispose d’un Ehpad sur le territoire concerné qui, le plus souvent, constitue le socle du dispositif autour duquel s’organisent les partenaires opérationnels de l’aide à domicile, de la santé et du numérique. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, aucun des porteurs n’ayant la capacité d’assurer seul l’ensemble des services.

Article 51 de la LFSS pour 2018

Cet article favorise l’innovation en dérogeant au cadre réglementaire et juridique classique. Il a permis de financer 23 expérimentations d’Ehpad hors les murs, portées respectivement par La Croix Rouge Française, la Mutualité Française et le groupe HSTV. En septembre 2020, 20M € sur 3 ans ont été accordés pour la conduite de ces projets innovants.

De plus, pour apprécier les effets de ces expérimentations sur l’accompagnement des personnes âgées et les coûts engendrés pour toutes les parties prenantes, la montée en charge progressive semble de mise avec comme point de départ un nombre bien défini de bénéficiaires. De 25 à 40 selon les dispositifs, ce cadrage permet de réellement observer les bénéfices ou les inconvénients de l’Ehpad plateforme sans que cela ne se résume à quelques actions à la marge.

Enfin, chaque dispositif semble s’adresser aux personnes âgées en GIR 2 à 5 (particulièrement les GIR 3-4), c’est-à-dire ceux dont la perte d’autonomie pourrait justifier l’entrée en Ehpad classique mais dont on peut prolonger la vie à domicile si l’offre adéquate y est proposée. Ce public visé, à quelques exceptions près, permet de préciser le cœur de cible de l’Ehpad plateforme et de mieux penser sa place dans le parcours de la personne âgée en vue de sa généralisation. De tous ces modèles, il semblerait donc que nous puissions tirer quelques enseignements pour le développement futur de l’Ehpad plateforme sur le territoire national.

Des nouvelles technologies efficaces

En premier lieu, se pose la question de la légitimité de l’Ehpad à déployer ses propres services vers le domicile. Evidemment, ça peut parfois gueuler du côté des services d’aide à domicile qui peuvent voir d’un mauvais œil cette incursion des Ehpad dans leur pré carré. Mais en réalité, ces expérimentations montrent que le système d’Ehpad hors les murs fonctionne la plupart du temps en partenariat avec des SAAD ou SSIAD existants, déployés par le porteur du projet lui-même (ex. La Croix Rouge), ou par d’autres (ex. HSTV). Aujourd’hui, ces expérimentations s’appuient sur l’expertise des services à domicile mais à terme, rien n’exclut que les Ehpad puissent fournir directement leurs services au domicile des particuliers.

Facteur-clé du déploiement des services sur le territoire et de cette coordination des acteurs, la technologie est au cœur des différents modèles. Bluelinea est partenaire d’Ehpad@dom et de la fondation Aulagnier, M@Do s’appuie sur la plateforme de téléassistance de Corrèze et son système de géolocalisation et le modèle d’HSTV propose une sécurisation 24h/24 grâce aux objets connectés. La digitalisation rend possible la réalisation de services à distance et crée une certaine proximité entre l’Ehpad plateforme, ses partenaires multiples et les bénéficiaires. Malgré tout, il reste un bon bout de chemin à faire en France, qui accuse un retard considérable en matière de systèmes d’information, de nouveaux services digitaux ou de numérique dédié à la coordination territoriale, particulièrement dans le secteur médico-social.

Avec le déploiement de la télémédecine, service numérique phare de l’Ehpad plateforme, nous assistons aussi à une évolution de l’Ehpad vers davantage de médicalisation. Toutes les initiatives présentées ont pour objectif de faire bénéficier les personnes accompagnées des interventions médicales et paramédicales de l’Ehpad, mais également de l’offre sanitaire présente sur le territoire, comme c’est le cas pour ­M@do, en lien avec le centre hospitalier de Tulle ou pour Seniors Connect qui propose une mise en relation avec un ensemble de professionnels. L’Ehpad plateforme, s’il intègre la dimension sanitaire, pourra demain se placer comme l’acteur clé du décloisonnement entre les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Beaucoup d’investissement pour peu de bénéficiaires

Pour autant, plusieurs limites à la généralisation de ce modèle apparaissent. Premièrement, le nombre de bénéficiaires limité, 40 maximum par dispositif, après plusieurs années d’expérimentation ne permet pas d’évaluer quantitativement les bénéfices d’une telle offre sur la population âgée pour la faire entrer dans le droit commun. L’absence de financements nationaux reste également un puissant frein au développement, tout devant se négocier au cas par cas localement. Deuxièmement, les temps d’ingénierie et de montage de tels dispositifs sont très conséquents, de la conception à l’organisation des acteurs en passant par l’interopérabilité des outils digitaux associés. Coordonner des acteurs aux intérêts divergents peut s’avérer complexe mais monter les dossiers de financement et d’autorisation pour toutes les activités proposées n’en est pas moins simple.

Sur la base de ces expérimentations, la balle est dans le camp du gouvernement. Qui ne semble pas pressé d’aller plus loin. Car si tout le monde loue ces dispositifs et se gargarise de ce nouveau modèle, personne n’a pour l’heure proposé de le généraliser en créant un cadre juridique et financier national qui n’ait plus à passer par le chas de l’aiguille de l’article 51. Mais pour ça, il est fort probable qu’un outil soit indispensable : il s’appelle la loi Grand Âge…

Manon Lacheray


(M@do) ou la MAison de retraite à DOmicile de la Fondation Partage et Vie
  • Initiée en 2013 à Naves (Corrèze), cette expérimentation portée par la Fondation Partage et Vie est soutenue par des partenaires tels que la Plateforme Corrèze Téléassistance ou l’équipe mobile de gériatrie du Centre Hospitalier de Tulle.
  • Cette expérimentation propose d’accompagner des personnes âgées-personnes handicapées souhaitant demeurer chez elles, avec les mêmes services que dans un Ehpad (services ménagers, aide à la vie quotidienne, repas, toilettes, téléassistance, installation de matériels domotiques au domicile, soins médicaux, matériel médical) et avec la possibilité de recourir à l’accueil d’urgence en établissement (chambre réservée à l’année).
  • Cette expérimentation, financée par l’ARS, s’adresse à 40 bénéficiaires.
  • Spécificités : Ce dispositif est le pionnier en la matière. Il est ouvert aux personnes âgées et handicapées et l’aspect médicalisé en fait sa particularité et son point fort, notamment via le partenariat avec le CHU.

Seniors Connect du Groupe SOS Seniors

  • Créée en 2016 à Metz (Moselle) puis « dupliquée » à Epinal, Aulnais-sous-Bois, Créhange et Yutz, cette expérimentation est portée par le Groupe SOS Seniors ainsi que ses partenaires : Malakoff Humanis, le Conseil départemental de Moselle, la Carsat et la CNAV.
  • Seniors Connect est un service de lien social et d’accompagnement de proximité à destination des personnes âgées vivant à domicile et de leurs aidants. L’accompagnement proposé comprend un point d’information ciblée, de l’aide aux démarches administrative et la coordination d’un ensemble de services adossés à l’Ehpad local du groupe SOS ou proposés par le réseau de partenaires locaux (accueil, animations, restauration et accès aux professionnels médicaux et paramédicaux de l’Ehpad, portage de repas, services de soins infirmiers à domicile, téléassistance, domotique, objets connectés…).
  • Cette expérimentation, qui compte une trentaine de bénéficiaires par site, est financée par l’abonnement des usagers, la conférence des financeurs, Malakoff Humanis et par le droit commun lors de l’entrée dans un dispositif type SSIAD par exemple.
  • Spécificités : Le dispositif se présente comme une plateforme reliant les seniors à domicile à certains services de l’EHPAD et de partenaires locaux, selon les besoins identifiés. L’accompagnement proposé est assuré par des coordinateurs Seniors connect.

Ehpad@Dom – La Croix Rouge Française
  • Créé en 2017 à Sartrouvile (Yvelines), ce dispositif est porté par l’Ehpad Stéphanie, le SAAD et le SSIAD de La Croix Rouge Française, en partenariat avec Bluelinea.
  • Ce dispositif propose d’assurer 24h/24 et 7 j/7 des prestations similaires à celles proposées à des résidents hébergés en EHPAD, à des personnes âgées en perte d’autonomie résidant à Sartrouville. Pour la partie domicile, cela comprend un SSAD, un SSIAD, de la téléassistance, une astreinte de nuit, un transport accompagné, de petits travaux et réaménagements et la coordination des intervenants. Mais les personnes à domicile peuvent aussi se servir des ressources de l’Ehpad : hébergement d’urgence pour une durée de 72h, accès au restaurant, au salon de coiffure, au kinésithérapeute, au podologue, au psychomotricien, au psychologue, aux ateliers de prévention, aux animations, aux services « esthétique et bien-être » et à la Halte répit-détente Alzheimer (HRDA).
  • Cette expérimentation est financée sur les fonds propres de La Croix Rouge Française et compte 30 bénéficiaires.
  • Spécificités : Les services sont intégrés au sein du même opérateur, combinant ceux qui sont accessibles au sein de l’Ehpad et ceux déployés à domicile. L’offre est limitée à la commune.

Diapason 92 – Fondation Aulagnier
  • Créé en 2018 à Asnières sur Seine (Hauts-de-Seine), le dispositif est à l’initiative de la Fondation Aulagnier et de plusieurs SAAD et SSIAD, en partenariat également avec Bluelinea.
  • Cette expérimentation d’Ehpad à domicile vise à repousser l’entrée en établissement en coordonnant les professionnels au domicile, en fluidifiant les parcours de soin et d’accompagnement et en offrant un répit aux aidants. Les services proposés dans ce cadre vont des soins infirmiers aux services d’auxiliaire de vie sociale en passant par la téléassistance, un service repas, des transports, de la garde itinérante de nuit, de l’adaptation du logement, des ateliers thérapeutiques, des animations, des services de coiffure, une plateforme de répit pour les aidants…
  • Ce dispositif est financé par l’ARS et le Conseil départemental (via un appel à projet) et s’adresse à 40 bénéficiaires sur 4 communes.
  • Spécificités : C’est une offre complète, y compris à domicile, par la combinaison de services intégrés au sein de la fondation Aulagnier et de partenariats avec des opérateurs extérieurs.

Ehpad hors les murs – Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve
  • Créé en 2019 à Rennes (Ille-et-Vilaine), cette expérimentation est portée par le groupe HSTV et son Ehpad Saint Louis à Rennes et peut compter sur les acteurs du soutien à domicile de l’agglomération rennaise comme partenaires (CCAS de la Ville de Rennes, Fédération ADMR d’Ille-et-Vilaine).
  • Cet Ehpad hors les murs propose une prise en charge complète, coordonnée et sécurisée à domicile qui comprend la coordination des intervenants, l’accompagnement gérontologique via l’EHPAD, des ateliers d’activités cognitives et physiques, l’adaptation du domicile avec un ergothérapeute et la sécurisation 24h/24 grâce aux objets connectés.
  • Ce dispositif est financé par l’ARS via un forfait (appel à candidature) et concerne 25 bénéficiaires, même s’il est prévu que cela monte à 40 en 2021.
  • Spécificités : L’offre couvre toute la ville (215 000 habitants) et son appellation « hors les murs » comprend réellement du domicile, notamment grace à ses partenariats avec les CCAS et SAAD associatifs.

Village santé autonomie – Centre Saint-Vincent Lannouchen
  • Créé en 2019 à Landivisiau (Finistère), le Village santé autonomie est porté par la Fondation Ildys, l’Ehpad Saint Vincent et la Résidence Ker Anna.
  • Cette plateforme de services permet d’accompagner les personnes dans un parcours complet et gradué vers la perte d’autonomie et l’entrée en Ehpad. Ce Village santé comprend un Ehpad et une résidence pour personnes âgées autonomes et propose de l’hébergement temporaire, l’accès aux soins et animations proposés en établissement, un programme de prévention de la perte d’autonomie et du portage de repas à domicile. Des services à destination des aidants comme du relayage sont aussi assurés via la maison de l’aidant ou le pôle social qui sont implantés sur site.
  • Ce dispositif est financé par le droit commun et par les fonds propres de la Fondation Ildys. Il y a 30 bénéficiaires en hébergement temporaire.
  • Spécificités : Il s’agit d’un Ehpad plateforme et non d’un Ehpad à domicile, seul le portage de repas se faisant à domicile ici.

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