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27 octobre 2016

Rapport du CAE : décevant, agaçant, intéressant et frustrant

La Note du Conseil d’analyse économique (CAE), publiée le 13 octobre dernier, a le mérite de remettre sur la table la question épineuse du financement des politiques de dépendance. Mais ses constats et propositions sont au choix classiques, agaçantes ou pertinentes sans être opérationnelles.

Le Conseil d’analyse économique est cet organisme qui, placé auprès du Premier ministre et composé de distingués économistes, produit régulièrement des Notes sur des sujets divers et variés afin d’éclairer le Gouvernement. Pour la première fois, le CAE a décidé de se pencher sur « les politiques publiques pour la dépendance ».
Publiée le 13 octobre, cette Note déçoit, agace et intéresse. Elle déçoit quand elle se résume à une vague compilation des principales statistiques déjà publiées dix fois et qu’elle dresse des constats expliquant que la pluie ça mouille. Elle agace quand elle donne l’impression de découvrir le Graal alors qu’elle ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Elle intéresse quand elle recense, sans évidemment jamais trancher, les différentes pistes de solution possible pour l’avenir en matière de financement de la perte d’autonomie.
Prenons l’exemple du nombre d’Ehpad en France. Le CAE estime que l’offre d’Ehpad en France est aujourd’hui « saturée et concentrée ». Et prend pour illustrer son propos des taux d’occupation datant de… 2007 ! Or, tous les témoignages de terrain montrent que l’offre est au contraire de moins en moins saturée et que, dans certains territoires, beaucoup d’Ehpad ont de plus en plus de mal à remplir. Pour des raisons certes souvent liées à des tarifs trop élevés mais aussi en raison des progrès de la prise en charge à domicile.
Des Ehpad en nombre suffisant ?
Le CAE évoque alors un « malthusianisme » des pouvoirs publics en matière de création d’Ehpad alors qu’il existe au contraire un relatif consensus entre professionnels et pouvoirs publics depuis des années pour considérer qu’il y a aujourd’hui un relatif équilibre en terme quantitatif entre l’offre et la demande.
Quant au secteur trop « concentré », on cherche encore ce qui est passé par la tête des économistes distingués pour établir un constat aussi éloigné de la réalité. Le premier groupe français représente moins de… 3% de l’offre d’hébergement en Ehpad. Les 3 principaux groupes privés comptabilisent moins de 8% des lits en France. Si problème il y a, il serait plutôt dans l’extrême atomisation de l’offre que dans une concentration dont on se demande encore quelles données l’étayent.
Du coup, sur la base de constats faux, le CAE tire une conclusion qui ne l’est pas moins : selon lui, les Ehpad n’étant pas en situation de concurrence, rien ne les incite à réduire leur prix ou à améliorer la qualité… Nous ne sommes pas, nous, de brillants économistes mais nos constatations au quotidien nous amènent à des conclusions radicalement opposées. Partout en France, aujourd’hui, les directeurs d’Ehpad opèrent des « ristournes » officieuses. Et partout, l’amélioration de la qualité se voit à l’œil nu ; ce que vient de nouveau de confirmer l’Anesm dans son rapport paru en septembre.
Il arrive aussi à nos universitaires d’oublier la base de ce qu’ils enseignent à leurs élèves : les sources ! Cela nous aurait permis de savoir où ils ont péché les tarifs moyens des résidences séniors (qualifiées par eux de « résidences privées de standing destinées à des classes aisées »). La note du CAE parle de tarifs moyens de 3.000 à 4.000 euros par mois quand le « panier moyen » d’un groupe comme Domitys est de 1.500 euros/mois, soit 700 euros de loyer et 800 euros de services.
Des ratios minimaux de personnel ?
Partant du constat (éminemment contestable) que la réglementation française n’encourage pas à la recherche de la qualité, le CAE a trouvé le Graal : fixer des ratios minimaux de personnel. « Surtout » précise la Note, « en cas de passage à une tarification à la ressource ». Or, la tarification à la ressource va justement rendre superfétatoire la notion même de ratio minimal puisque la dotation serait désormais directement corrélée au niveau de dépendance des résidents. Bref, on a sur ces sujets la vague impression que ces 3 universitaires ont travaillé dans une bulle sans jamais parler avec les responsables des Cabinets, de la CNSA ou de la DGCS. Une sorte de travail hors-sol.
Le CAE a souhaité ensuite produire une recommandation totalement révolutionnaire et innovante. Jugez-en : il conviendrait, selon eux, de « revaloriser le travail des personnels à domicile ou en établissement »… Voilà en effet une proposition que ne risque pas de diviser les foules. Grâce au CAE, on sait désormais que les aides-soignantes et autres auxiliaires de vie ne sont pas assez bien payés. Mais peut-être le CAE a-t-il la recette miracle pour résoudre le problème ?
Justement, il termine son papier en esquissant des pistes de solution en matière de financement en regrettant au préalable que dans ce secteur le patrimoine des personnes âgées ne soit pas assez sollicité ; et que le recours à l’assurance privée demeure trop limité.
Deux scénarios pour financer la dépendance
Première option : fusionner l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) et l’Aide sociale à l’hébergement (ASH). Cette « APA-étendue » permettrait de couvrir « l’ensemble des dépenses de dépendance autres que les soins, y compris le surcoût de l’hébergement ». Mais cette réforme n’effaçant pas le reste-à-charge pour l’usager, les auteurs proposent d’instaurer un prêt-dépendance, pour mobiliser le patrimoine immobilier des personnes âgées. Il ne serait cependant applicable qu’aux personnes en Gir 1 à 3. Des solutions existent déjà (viager, viager mutualisé ou prêt viager hypothécaire), mais restent peu pratiquées.
Si la fusion APA-ASH a déjà été esquissée en 2011 dans le groupe de travail « Fragonard », et mériterait d’être approfondie, l’idée d’un développement des outils de liquidité du patrimoine immobilier des retraités est une idée en vogue depuis 2012 sans qu’aucun opérateur financier n’ait encore trouvé le bon scénario. A l’évidence, il s’agit pourtant d’une piste à privilégier dans les prochaines années.
Seconde option : l’instauration d’une assurance obligatoire contre le risque de dépendance lourde qui couvrirait l’ensemble des surcoûts liés à la dépendance. Les auteurs de la Note proposent alors de concevoir cette assurance « comme une nouvelle branche de la Sécurité sociale » qui serait donc définie par les pouvoirs publics. En ce qui concerne la dépendance légère, la Note explique que les frais engendrés ne pèsent que pour les ménages les plus modestes et justifie donc une politique de soutien mais pas une assurance obligatoire. APA pour les plus pauvres et assurance pour les revenus moyens et élevés : la recette est suffisamment libérale pour que le Gouvernement se soit empressé de préciser que les conclusions du CAE n’engagent… que lui.


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